No 2, 2008
Lacunes: Solution de continuité...
Patrick Bérubé
Artiste en arts visuels
www.patrickberube.com
Propos_
Le projet est simple. Au cours de mes résidences, j’ai pris un malin
plaisir à constater et à souligner certaines de mes lacunes
quotidiennes, qu’elles soient matérielles ou immatérielles : manque,
insuffisance, imperfection, défectuosité, insatisfaction, incertitude,
faiblesse, perte, vide, ignorance, oubli, etc. Le projet a d’abord pris
la forme d'un genre de journal de bord sur internet; sortes de
chroniques dans lesquelles j’exprimais mes petites “détresses”
quotidiennes, pointant par le fait même, les difficultés, souvent
absurdes, qu’elles peuvent engendrer
(www.patrickberube.com/residence1).
L’objet n'est pas de traiter de
mon désarroi, de mes lamentations ou de mon insécurité, mais plutôt de
chercher le sens sous-jacent de ce qui, au plus profond, reste encore
mystérieux, mais essentiel dans ma grande confusion. De ce fait, ce
"journal" n’est pas à prendre au premier degré. De manière cynique, je
m'attarde sur différents détails qui peuvent sembler insignifiants et
l’idée est de mettre en évidence notre imbécilité et notre maladresse
face à ce genre de (situations) petites détresses, souvent
innoffensives, mais ô combien frustrantes! Frustration, solitude,
ennui et manque, cette recherche nous renvoie peut-être à la liberté
contraignante, banale et absurde inhérente à notre condition humaine.
M’inspirant de quelques-unes de ces chroniques, la construction de
l’espace d’exposition était investi et fragmenté en plusieurs parties,
reprenant la forme du journal de bord, dans lesquelles le spectateur
était physiquement amené à découvrir de petites histoires. La mise en
espace de ces dispositifs offrait au promeneur la contemplation de
différents objets et images tout en méditant sur certaines futilités de
ce monde. La matérialisation des ces chroniques évoque d’un côté le
désir et de l'autre la recherche de protection et de confort, lesquels
causent plus souvent qu’autrement des pertes de contrôle et la débilité
liées à ces obsessions.
Nous vivons dans un monde où nous sommes tous effrayés, où nous nous
sentons seuls et l’une des protections que nous ayons trouvé est de
tenter de tout prévoir et de tout contrôler. L’installation questionne
ainsi notre recherche constante de contrôle, de sécurité et de confort
et tente de démontrer que malgré toutes ces précautions, certaines
choses nous échappent et nous demeurons vulnérables et victimes de nos
craintes. Cette installation est une critique sociale certes, mais
l’idée n’est pas de jouer les donneurs de leçon, mais plutôt de
démontrer la fragilité humaine et que ce genre d’obsessions sont
souvent absurdes, éphémères et illusoires. Ce désordre, cette révolte,
que disent-ils de la société, de ses latences, de ses espérances? Dans
la faille du dire et du faire que doit-on déceler? Notre destin commun
n'est-il pas d'être leurré, frustré, contraint, soumis à la loi de la
tromperie?
Dispositif_
Dans la première pièce de l’exposition j'ai construit un long balcon
surélevé sous-lequel était suspendu un destructeur à insectes lumineux
(sorte de cage avec des ultravilolets à l’intérieur). Le destructeur
était modifié de sorte que son “néon destructeur” habituel écrive le
mot “désire”. En effet, celui-ci a habituellement comme fonction
d’attirer les moustiques, mais a également comme fonction de causer
leur perte. En revanche, il nous protège des éventuelles
“démangeaisons” (désirs, pertes de contrôle). À la fois le symbole
d’avidité vaine, il est une représentation du désir et de l’envie et
tente d’en pointer l’absurdité et les pièges qu'il sous-tend. De plus,
une photographie d’un individu qui se gratte jusqu’au sang prend place
sur un des murs.
En poursuivant son parcours, le spectateur doit franchir une porte
moustiquaire, percée du mot “lacune”, faisant encore une fois allusion
à
une tentative de protection vaine. En franchissant cette porte, il se
retrouvera dans un endroit plus sombre et éclairé, d’un rouge subtile,
par un calorifère. L’élément chauffant habituel de celui-ci a été
modifié de sorte qu’il écrive le mot "comfort". D'autre part, j'ai
construit un babillard de "post-it" sur lesquelles étaient projetées,
par
intermittence, des petites animations réalisées lors de mes résidences.
Ces petits dessins animés, sortes de petits gribouillis vivants, sont
directement inspirés de certaines de mes lacunes et détresses
quotidiennes. En effet, les "post-it" sont la plupart du temps
utilisés comme aide mémoire ou encore pour noter nos manques.
Crédit photos: Charles Mathieu Audet