No 2, 2008
Anxiété de masculinitude et impacts sur la fonctionnalité
érotique des délinquants sexuels
(english
summary)
Suzanne Gagné
1 M.A.
Depuis plus de vingt ans, une grande partie de mon travail en sexologie
clinique se fait auprès des délinquants sexuels
2.
La clientèle est majoritairement constituée d’hommes qui présentent des
conduites érotiques de nature pédophilique, éphébophilique
3
et exhibitionniste. Ces troubles sexuels peuvent appartenir au registre
de la déviance sexuelle ou à celui de conduites érotiques atypiques qui
surviennent plus tard ou sporadiquement dans la vie de l’individu. Dans
une plus petite proportion, nous recevons aussi des individus qui
présentent des problématiques sexuelles relatives au viol, au
voyeurisme, au besoin de faire des appels obscènes, au fétichisme et à
d’autres problématiques sexuelles. La recherche et la clinique de ces
25 dernières années ont démontré qu’il est possible de réhabiliter
plusieurs délinquants sexuels et de prévenir de futures récidives.
Que nous disent ces conduites érotiques délictuelles? Étant en présence
d’un trouble qui se manifeste par le sexuel, on doit pouvoir dégager
une compréhension du rôle joué par le sexuel dans la constitution de
ces troubles et de leurs symptômes. La recherche et la clinique de ces
25 dernières années sur les délinquants sexuels s’est montrée
prolifique dans l’identification des facteurs non sexuels
4
dont
souffrent aussi ces gens. Par contre, l’analyse qualitative portant sur
l’ensemble de la fonctionnalité érotique des délinquants sexuels a été
oubliée ou négligée. Par ma formation académique de
sexologue-sexoanalyste et faisant de la sexologie clinique, j’ai été
sensible à cet état de fait. La sexoanalyse m’est apparue susceptible
de répondre à ces questionnements. Par son travail sur le sexuel, cette
approche permet de mieux connaître le fonctionnement sexuel de ces
hommes. Le travail d’élaboration relatif aux contenus liés à la
fonctionnalité érotique, à la masculinité et au type de rapport à
l’autre sexe a permis d’identifier trois types d’organisation du
sexuel. Dans la théorie sexoanalytique, l’individuation sexuelle repose
sur deux processus : l’acquisition d’une identité de genre et
l’intégration de la différence sexuelle. L’individuation sexuelle
s’élabore à l’intérieur du complexe sexuel nucléaire (Crépault, 1986).
Chez les délinquants sexuels, les conflits sexuels liés à ce complexe
ne sont pas suffisamment résolus. Ultérieurement, ces conflits
influenceront la fonctionnalité érotique.
QUESTIONNEMENT ET MÉTHODE
Certaines questions et préoccupations ont animé cette analyse
qualitative au long terme. Avec les délinquants sexuels, est-il utile
et même nécessaire d’effectuer un travail clinique spécifiquement sur
le sexuel? Que peut-on y apprendre? Peut-on se permettre de négliger le
sexuel au profit du non sexuel? La sexoanalyse peut-elle être une
approche complémentaire, utile et efficiente pour diminuer, de manière
significative, le risque de récidive? À l’instar de la psychologie qui
dresse des profils de personnalité selon le style de fonctionnement
d’un individu, pouvons-nous dresser des profils de personnalité
érotique selon le style de fonctionnement sexuel d’un sujet?
L’entretien clinique est la méthode utilisée pour la cueillette du
matériel significatif. Le premier objectif est d’explorer et de
conscientiser le matériel érotique. Ce travail permet de repérer si la
fonctionnalité érotique est porteuse de conflits. Il permet également
de comprendre comment ces conflits se symbolisent et se traduisent dans
la vie érotique. Le travail sur le conflit érotique permet d’éclairer
le conflit lié à la genralité et à la différence sexuelle. Une
compréhension et une conscientisation du scénario sexuel synthèse en
résulte. La cure sexoanalytique vise à solutionner, de manière mieux
adaptée, les conflits associés au trouble sexuel.
Le questionnement et l’analyse des conduites érotiques, des fantasmes
et des rêves, l’hypothèse interrogative, l’extrapolation, le travail de
liaison sont des techniques utilisées en sexoanalyse pour dégager les
significations et les fonctions associées au trouble sexuel. Le travail
de confrontation se fait 1) par un questionnement de la nature, des
significations et des fonctions associées aux symptômes du trouble
sexuel, 2) par le travail de liaison sur les différentes sphères du
sexuel et sur l’histoire actuelle et passée du sujet, 3) par
l’attention portée aux contradictions, aux concordances et discordances
du discours. Cette attitude thérapeutique favorise, chez celui qui
consulte, une disponibilité psychique au dire. Elle favorise aussi la
capacité à révéler les secrets que l’individu a envers les autres mais
surtout ceux qu’il a envers lui-même (Stoller, 1976).
Le travail de
sur-conscientisation effectué sur le matériel manifeste ouvre l’accès
aux contenus se situant dans l’arrière-conscience. Ce premier travail
nous permet de rejoindre l’inconscient sexuel et les forces qui œuvrent
au sein du trouble sexuel. La visée thérapeutique est de favoriser un
usage moins défensif de la sexualité et une fonctionnalité érotique
suffisamment saine. Le travail sur les conflits sexuels vise à amener
le sujet à investir de nouveaux contenus émotionnels et fantasmatiques
et à développer des capacités érotiques qui soient plus près de la
maturité sexuelle.
RÉSULTATS
Avec les délinquants sexuels, la clinique sexologique a permis de
repérer trois types de fonctionnement genral
5.
On y retrouve l’homme
qui fonctionne sous un mode 1. hypomasculin, 2. hypermasculin et 3. en
apparence assez masculin.
L’homme hypomasculin craint d’être trop
masculin. Il surinvestit l’imago du berger
6 et
l’érotisme fusionnel
prédomine. L’homme hypermasculin craint de ne pas être assez masculin.
Il hypertrophie les attributs de la masculinité et il surinvestit
l’imago du cowboy
7. Pour ce type d’homme, c’est
la recherche de
dominance sexuelle dans un contexte antifusionnel qui prédomine. Chez
ces 2 premiers groupes, le mécanisme de défense prédominant est le
surinvestissement d’un pôle et l’inhibition de l’autre pôle.
Chez
l’homme en apparence masculin, le clivage prédomine comme mécanisme de
défense. Dans un contexte dépourvu de lien affectif, l’homme en
apparence masculin personnalise davantage le cowboy et l’érotisme
antifusionnel prédomine. Dans un contexte affectif, c’est l’imago du
berger et l’érotisme fusionnel qui prédominent. Ce type d’homme se
perçoit un homme mieux que les autres hommes. Souvent, ce type d’homme
affiche une attitude hautaine chargée de mépris.
Chez l’homme, la maturité sexuelle résulte d’une série d’intégrations
liées à l’identité masculine, à la différence sexuelle et aux
expériences érotiques. Crépault a proposé certains indicateurs de
maturité érotique et de santé sexuelle. Chez l’adulte, la maturité
érotique repose sur: la capacité de désirer, d’imaginer et de jouir.
Elle repose également sur la capacité d’érotiser une personne adulte
consentante et sur l’absence de perversions ou de déviances majeures.
L’intégration des érotismes fusionnel et antifusionnel, l’harmonisation
de l’imaginaire et de la réalité, la capacité d’autoréguler les désirs
érotiques et de les sublimer temporairement dans des activités
créatrices sont aussi des critères de la maturité et de la santé
érotique. La santé genrale réfère à un investissement suffisant et
favorable de la spécificité sexuelle et à la capacité d’intégrer et
d’harmoniser les composantes masculines et féminines de la
personnalité. La santé amoureuse est caractérisée par la capacité à
éprouver un sentiment amoureux et à transformer ce sentiment en une
relation affective sexualisée et durable. La prédominance de la
fonction complétive sur la fonction défensive de la sexualité est un
critère central de la santé sexuelle (Crépault 1997, 2004, 2007).
On
constate que le fonctionnement sexuel s’organise différemment d’un
groupe à l’autre. Chez les individus d’un même groupe, on retrouve en
revanche des similitudes et des constances du fonctionnement sexuel.
Les trois groupes présentent des conflits liés à la masculinité et à la
différence sexuelle. Pour chacun des groupes, les particularités du
fonctionnement genral, du rapport à l’autre sexe et de la
fonctionnalité érotique sont présentées.
L’homme hypomasculin
Chez l’homme hypomasculin, la genralité repose sur une inhibition de la
masculinité. La personnalité genrale et érotique s’organise davantage
sous un mode féminin.
Rapport intra-genral
Chez le groupe des hommes hypomasculins, un aspect du conflit associé à
la masculinité provient du fait de ne pas parvenir à prendre une
position de dominance intra-genrale. L’agressivité d’affirmation, de
compétition et l’agressivité phallique sont inhibées. Il craint
l’agressivité de domination et de compétition du monde masculin. Les
contacts avec les autres hommes génèrent une importante anxiété des
représailles. Dans le monde des hommes, il est un agneau qui se soumet
à l’autorité masculine. Il est méfiant, toujours sur le qui-vive. Pour
lui, les hommes représentent de potentiels agresseurs. Il vit un stress
énorme lorsqu’il se retrouve dans un contexte d’intimité avec les pairs
masculins. Souvent, cette dynamique entraîne d’importantes difficultés
d’adaptation au monde du travail.
Rapport à l’autre sexe
Dans un contexte social ou amical, l’homme hypomasculin préfère la
présence des femmes. Il se sent plus à l’aise et en sécurité avec
elles. Chez ce type d’homme, le rapport à l’autre sexe est animé par le
fantasme-désir de la mère-nourricière et par l’anxiété d’abandon. Il
est envahi par le désir de posséder cette mère nourricière et par la
crainte de la perdre. Centré sur les besoins de la partenaire, il se
veut le prince de sa princesse et le berger qui protège le troupeau. Il
désire rester dans la fusion et il craint le rejet. Dans le réel, ce
qu’il craint tant finit par arriver. Les premiers émois, les premières
passions ayant fait leur temps, cette femme devient plus distante et il
se sent négligé par elle. Il ne comprend pas pourquoi elle agit ainsi
car il est si gentil, si attentif et accommodant. Lorsque la partenaire
s’intéresse davantage au monde extérieur et qu’elle le laisse de plus
en plus souvent seul avec les enfants, il commence à se sentir
abandonné, utilisé et exploité par cette femme. Du fantasme de la mère
nourricière, il se retrouve dans le réel avec une femme qu’il perçoit,
de plus en plus, comme une mauvaise mère qui abandonne ses enfants et
qui l’abandonne.
Fonctionnalité érotique
L’homme hypomasculin a tendance à présenter des problèmes d’éjaculation
rapide ou précoce. Il éprouve aussi une envahissante anxiété de perte
érectile. Dans le réel comme dans l’imaginaire, c’est l’érotisme
fusionnel qui prédomine. Il peut s’autoriser un désir phallique en
autant qu’il soit dans une position de passivité comme dans le fantasme
d’une femme qui lui fait ou qui fait une fellation à un autre homme.
Dans le réel, il a tendance à s’attacher rapidement et à sexualiser
tout aussi rapidement le lien d’attachement. Il est fréquent de
rencontrer une culpabilité et une anxiété des représailles liées au
fait de sexualiser une femme sans l’aimer. L’engouement, l’élan
amoureux déculpabilise et cautionne en quelque sorte le désir érotique.
Chez ce groupe, l’anxiété de masculinisation est centrale. Que ce soit
avec la madone ou l’antimadone, les désirs masculins et l’agressivité
phallique sont inhibés. L’antimadone active la crainte de ne pas être
assez performant et puissant sexuellement alors que la madone active
plutôt la crainte d’être perçu et jugé comme un «macho», un pervers, un
agresseur sexuel. Il craint d’offenser la femme et de lui manquer de
respect. Le désir érotique s’élabore, principalement, autour de la
position d’être l’«objet» du désir et du plaisir de l’autre.
L’homme
hypomasculin n’est pas ancré dans sa phallacité
8.
Son excitation et son
plaisir érotiques dépendent de la qualité du désir, de l’excitation et
du plaisir de l’autre. Cette dynamique du désir érotique est,
habituellement, associée à la féminité (Dolto 1982, Gagné 1989).
Ce type d’homme recherche et se sent plus confortable dans les
sensations voluptueuses. Il éprouve une difficulté à soutenir et à
contenir les sensations phalliques. À cet égard, l’éjaculation rapide
représente une voie de sortie, d’échappement à ce malaise. Le manque
d’ancrage du désir phallique participe à l’activation et au maintien de
l’anxiété de perte érectile qui culmine lors du coït. Pendant la
pénétration, l’individu ressent une perte de sensations. Dans un
premier temps, cette perte est expliquée par la perception que le vagin
est trop grand
9. Habituellement, les positions
coïtales exigeant un
moindre déploiement d’agressivité phallique sont les positions
préférées car il peut plus facilement contenir l’éjaculation.
Ceux qui
ont déjà été abusés sexuellement dans l’enfance peuvent présenter un
dégoût envers leur pénis et ils craignent que la partenaire puisse,
elle aussi, ressentir ce même dégoût envers le pénis. Chez ces hommes,
on retrouve aussi des sentiments de honte qui s’associent au sexuel. On
peut aussi s’attendre à retrouver un évitement de la sexualité et peu
d’investissement de l’autoérotisme. Le fait de stimuler leur propre
pénis et d’en retirer un plaisir entraîne l’émergence d’une anxiété
d’homosexualisation. À plus ou moins long terme, le maintien de
l’anxiété de masculinisation est susceptible d’activer l’anxiété de
féminisation. Celle-ci se traduit par le sentiment, de plus en plus
envahissant, de ne pas se sentir un homme et d’être comme une femme. On
peut considérer cette dynamique comme un facteur prédisposant et
précipitant de «l’acting out» sexuel.
Le délinquant sexuel de type
hypomasculin présente une importante vulnérabilité émotionnelle qui se
lie à une ancienne vulnérabilité émotionnelle partagée avec la mère.
Cette dynamique maintient une identification à la mère-victime,
impuissante et infidèle
10. Dans les rapports
interpersonnels, il ne
parvient pas à accéder à la position de sujet; il demeure coincé dans
la position d’être l’objet de l’autre. Une fois adulte, dans son
fonctionnement amoureux, en même temps qu’il désire trouver une
mère-nourricière, il se retrouve dans la position de mère-nourricière
qui doit satisfaire les besoins de l’autre. Il est fréquent de
retrouver le désir de sauver une femme vulnérable. On peut penser que
ce désir est une réédition de l’ancien désir de sauver la mère. C’est
lorsque la partenaire sort de la fusion que des «acting out» sexuels
peuvent survenir
11.
Le scénario pédophilique condense cette ambivalence
envers la mère: cette mère aimée et désirée parce qu’elle est la seule
à l’aimer mais aussi haïe et méprisée parce que passive, négligente et
impuissante à protéger ses enfants. Que ce soit avec un enfant de sexe
masculin ou féminin, on retrouve le fantasme inconscient de se
substituer à la mauvaise mère en étant une meilleure mère et en prenant
soin des besoins de l’enfant. En même temps, l’enfant symbolise aussi
la bonne mère qui enfin le nourrit, le gratifie dans ses propres
besoins fusionnels. En parallèle, l’enfant devient aussi le dépositaire
de l’ambivalence hostile envers la mère négligente. Cette hostilité est
sexualisée dans le scénario pédophilique et elle soutient la fonction
d’exercer une dominance phallique. Ainsi, il tente de restaurer sa
phallacité qui a été autrefois blessée et dont il a été, plus ou moins,
dépossédé. Dans ce type de dynamique, l’«acting out» sexuel de nature
pédophilique vise une double fonction : 1. - combler un creux
fusionnel; ayant échoué à rétablir le lien symbiotique avec la
partenaire, l’enfant devient le dépositaire de ce désir symbiotique, 2.
- se venger de la mauvaise mère et exercer une dominance phallique dans
un contexte de sécurité où il ne risque pas d’être démasculinisé ou
abandonné. Ainsi, tour à tour, il personnifie la bonne et la mauvaise
mère lors des conduites érotiques pédophiliques. Souvent, l’homme
hypomasculin investit l’enfant en fonction de ses qualités personnelles
et affectives comme par exemple l’innocence, la vulnérabilité et la
pureté de l’enfant. On retrouve une certaine continuité entre les
composantes de l’attraction qui sont associées à la femme et celles qui
sont associées à l’enfant. L’homme hypomasculin semble présenter une
plus grande tendance que les deux autres groupes à érotiser des enfants
en bas âge.
L'homme hypermasculin
L’homme hypermasculin présente une masculinité défensive
qui consiste à hypertrophier les attributs de la masculinité. La
personnalité genrale et érotique s’organise davantage sous un mode
masculin. Par exemple, un homme en traitement pour des conduites
exhibitionnistes présentait une véritable obsession par rapport à ses
muscles. Ce désir compulsif de développer sa musculature visait, entre
autres, à contrer l’anxiété de ne pas être assez masculin. Souvent, on
retrouve aussi chez ce groupe des préoccupations concernant la grosseur
du pénis.
Rapport intragenral
L’homme hypermasculin a tendance à percevoir les autres hommes comme de
potentiels rivaux. L’agressivité de domination et de compétition est
prédominante et colore l’ensemble des rapports interpersonnels. Le
facteur organisateur du rapport intragenral est le besoin de triompher.
Le déploiement de l’agressivité phallique vise à faire la preuve de la
virilité et à contrer un envahissant sentiment d’insuffisance
phallique. L’anxiété de démasculinisation est centrale dans ce type
d’organisation genrale.
Rapport à l’autre sexe
Le rapport à l’autre sexe est coloré par l’hostilité et on retrouve un
besoin compulsif de contrôler et de dominer l’autre. L’homme
hypermasculin craint l’intimité affective. Au fond de lui, il se sent
incapable d’aimer et il a peur d’aimer. Il se sent non aimable et il
doute de sa valeur personnelle, masculine et virile. Il est donc
particulièrement vulnérable aux atteintes que la femme peut porter à sa
masculinité et à sa virilité. L’anxiété des représailles et de
démasculinisation sont importantes et elles occupent une place
centrale.
L’antimadone, la femme qui se pose dans sa désirabilité
sexuelle, active un désir phallique chargé d’hostilité car elle détient
un pouvoir sexuel. La menace provenant de l’antimadone est qu’elle
puisse être plus puissante sexuellement et qu’elle le disqualifie au
profit d’un homme plus viril. Le fantasme mettant en scène la
domination d’une femme dépersonnalisée est nécessaire pour parvenir à
une excitation génitale. Ce fantasme a comme fonction de restaurer la
phallacité sexuelle et d’affirmer la puissance sexuelle. On peut
retrouver les rêveries d’être désiré par une femme ayant une valeur
sociale ou affective. Cependant, habituellement, ce type de rêverie
n’est pas génitalisée. Dans ce contexte, il ne se pose pas comme sujet
désirant mais plutôt comme l’objet du désir de l’autre. Ce
rêve-fantasme semble viser une restauration narcissique. La femme
représentant l’antimadone génère une anxiété de démasculinisation alors
que la madone génère plutôt une anxiété de masculinisation.
Le conflit
lié à l’autre sexe est illustré par un patient qui disait ne pas se
sentir prêt à investir, à nouveau, une femme dans la réalité. D’une
part, la crainte était de revivre la jalousie et, de redevenir violent
s’il se retrouvait avec une femme qu’il désire pour ses qualités
sexuelles. D’autre part, la femme désirée et aimée pour ses qualités
affectives est inaccessible. Dans cette rêverie, le désir érotique est
davantage du registre de l’aspiration. Bien souvent, les contenus
imaginaires associés à ce désir ne peuvent aller au-delà de la mise en
scène du désir de l’autre ou du désir amoureux et de l’étreinte
amoureuse. Cette mise en scène est, habituellement, accompagnée d’une
sensation de bien-être et de volupté.
Chez certains délinquants
sexuels, j’ai remarqué que le fantasme ne peut s’élaborer au-delà des
expériences vécues dans le réel. Par exemple, un patient présentait ce
type de rêverie amoureuse qu’il ne pouvait sexualiser. Cette rêverie
s’inspirait de la seule expérience où, vers la fin de l’adolescence, il
avait éprouvé des sentiments tendres pour une jeune fille de son âge.
Au niveau du réel, les échanges érotiques s’étaient limités à quelques
contacts sensuels comme des étreintes et des caresses extragénitales.
Au niveau imaginaire, il ne pouvait aller au-delà de ce qui avait été
vécu dans le réel. Il semble que cette caractéristique s’observe surtout chez ceux qui
souffrent d’importantes carences narcissiques et affectives.
Fonctionnalité érotique
Habituellement, dans l’imaginaire comme dans le réel, l’érotisme
antifusionnel prédomine. En cela, tout comme chez les hypomasculins, on
retrouve une certaine continuité entre l’imaginaire et le réel. Chez
l’homme hypermasculin, la génitalité est surinvestie. Lorsque ces
hommes se retrouvent en relation avec une femme soumise, le mode
d’érotisation est plutôt mécanique et vise à satisfaire un besoin
d’organe, à soulager et à évacuer les tensions et, surtout, à
satisfaire la partenaire. À ce sujet, un patient, en traitement pour
inceste avec ses filles, disait par rapport aux activités sexuelles
avec sa conjointe qu’il «faisait son devoir conjugal»
12.
Ce type
d’érotisme vise particulièrement à contrôler la sexualité de la
partenaire et à s’assurer de sa disponibilité. Lorsque la partenaire
amoureuse correspond davantage à l’antimadone, on retrouve la tendance
à devenir contrôlant, possessif et envahi par la jalousie. Dans ce
contexte, l’homme hypermasculin perçoit sa partenaire comme étant une
femme séductrice qui peut être, à tout moment, infidèle. À plus ou
moins long terme, cette dynamique peut activer une envahissante anxiété
de perte érectile.
Au niveau étiologique, on retrouve souvent une mère
négligente envers les besoins émotionnels de l’enfant. Cette dernière
peut être une femme séductrice et provocante sexuellement dans ses
rapports avec les hommes ou une mère dépendante et qui idéalise le mari
comme figure d’autorité. Souvent, l’histoire de ces hommes fait
ressortir des expériences où ils ont été victimes de la brutalité
masculine. Il est aussi fréquent de rencontrer des expériences où les
femmes de la famille méprisent et ridiculisent les hommes. Bien
souvent, ces hommes ont aussi été ridiculisés et humiliés dans leurs
tentatives pour se masculiniser ou lorsqu’ils manifestaient une
vulnérabilité émotionnelle. Ceci n’est sûrement pas étranger à leur
difficulté à vivre une intimité amoureuse et affective.
Que ce soit avec un homme ou une femme, en fantasme ou dans le réel, le
mode d’érotisation est, essentiellement, génital et antifusionnel. La
fantasmatique centrale met en scène une dépersonnalisation, une
domination phallique et une dégradation, plus ou moins grande, de
l’autre. Ce sont les désirs phalliques hostiles qui occupent et
dominent la scène fantasmatique. On rencontre souvent les fantasmes
d’éjaculer dans la bouche d’une femme, sur son visage ou ses seins.
Plus le besoin de dégrader l’autre est présent, plus on peut s’attendre
à retrouver une dynamique d’envie à l’égard de la femme.
Chez cette catégorie d’hommes, il est fréquent de retrouver une
problématique de compulsivité sexuelle. Celle-ci peut se traduire par
le besoin de se maintenir, le plus longtemps possible, dans un état
d’excitation. Dans ce cas, l’éjaculation n’est pas la finalité
recherchée. La fonction est plutôt de se maintenir dans un état de
puissance phallique via le maintien de l’érection. Les hommes qui
passent des heures à rechercher des contenus érotiques sur internet
sont un exemple de ce versant de la compulsivité sexuelle. La
compulsivité sexuelle peut aussi servir à évacuer les tensions; dans ce
cas, l’éjaculation est la finalité recherchée. L’homme hypermasculin a
aussi tendance à surinvestir l’autoérotisme pour moduler les diverses
tensions et frustrations. Le mode d’érotisation est phallique et il n’y
a pas de place pour les sensations voluptueuses. La volupté est
associée à la féminité et elle comporte une menace de féminisation.
Chez ce type d’homme, l’érotisation de l’hostilité permet de libérer
les frustrations et de contrer les menaces de démasculinisation et de
féminisation. Il est très difficile pour ce type d’homme d’éprouver de
la tendresse et d’introduire un rapport affectif dans l’échange sexuel.
Chez ces hommes, ne pas aimer constitue aussi une protection contre
l’anxiété de féminisation.
Les conduites exhibitionnistes et éphébophiliques semblent plus
susceptibles d’être rencontrées chez les hommes hypermasculins que chez
les hommes hypomasculins. Lorsqu’il y a érotisation d’un objet
inapproprié, c’est plus souvent un enfant d’âge pré-pubère, pubère ou
un(e) adolescent(e). Le/la jeune sur lequel se projette le désir de
convoitise
13 renvoie habituellement à la
représentation d’un rebelle,
d’un cowboy ou d’une petite pute, d’une antimadone. L’acte
exhibitionniste ou l’érotisation d’un(e) jeune vise à exercer une
dominance sexuelle, à se restaurer phalliquement et à prendre une
emprise sur l’objet. Comme chez l’homme hypomasculin, on retrouve une
continuité entre les composantes excitatoires centrales associées à
l’adulte et celles associées à l’érotisation atypique. Chez l’ensemble
des délinquants sexuels, le thème de l’emprise est central : «être sous
l’emprise de» /»prendre une emprise sur».
Chez les hommes hypermasculins, on retrouve plus souvent que chez les
hommes hypomasculins la présence de conduites homoérotiques
transitoires ou ponctuelles. Bien que ce soit possible, ces conduites
homoérotiques ne signifient pas nécessairement que nous soyons en
présence d’une orientation homosexuelle. L’exemple suivant montre que
les conduites homoérotiques peuvent avoir comme fonction de permettre
la réalisation de certains fantasmes qui seraient plus difficiles à
réaliser dans un contexte hétérosexuel.
Comme discuté précédemment, l’exhibitionniste qui présentait une
obsession face à sa musculature traduisait ainsi son désir manifeste de
masculinité. Toutefois, l’analyse a permis de repérer que ce désir
manifeste servait aussi à dissimuler des tendances féminines demeurées
actives. Après trois ans de thérapie, nous avons eu accès au fantasme
synthèse, ou du moins à une partie de celui-ci. Ce fantasme illustre la
présence des tendances féminines demeurées actives. Cet homme se dit
uniquement attiré par les femmes. Les fantasmes conscients sont,
exclusivement, hétérosexuels. Dans le réel, il a eu trois relations
significatives avec des hommes d’orientation homosexuelle. La fonction
consciente associée à ces relations homoérotiques égodystones est de
contrer une souffrance affective provenant du sentiment d’être seul.
Au
début de l’adolescence, pour des besoins de survie, il a recours à la
prostitution masculine. Entre 19 et 32 ans, il vit deux relations
homoérotiques affectivement significatives avec un homme plus âgé.
Chacune de ces relations dure de deux à trois ans. Ces relations
homoérotiques sont égodystones. Entre 34 et 44 ans, dans un contexte
hétérosexuel, il vit 2 relations de couple d’une durée respective de
cinq ans. Ces deux relations de couple sont caractérisées par la
consommation de substances intoxicantes, la compulsivité sexuelle, la
jalousie et, finalement par l’infidélité de la partenaire. Au début du
traitement, il revenait, sporadiquement, aux comportements de
prostitution masculine pour assurer, entre autres, ses besoins de
subsistance et de consommation. Au cours de la thérapie, il a noué une
troisième relation significative avec un homosexuel de son âge. Le
sentiment manifeste en est un de fraternité et il considère que cet
homme est son premier véritable ami. La fonction manifeste est de
contrer un envahissant sentiment de solitude affective. On retrouve
aussi le bénéfice que ce n’est plus lui qui souffre et qui craint
l’infidélité de la partenaire. Dans ce contexte, c’est le partenaire
qui souffre des affres de la jalousie. Tout comme pour les deux
relations homoérotiques précédentes, cette relation est aussi
égodystone.
Lors des contacts érotiques avec ce partenaire, il se promène nu en
imitant la démarche des femmes et en prenant des poses et des attitudes
féminines de provocation sexuelle. Puis, dans la progression de
l’excitation sexuelle, d’une petite voix, il demande au partenaire s’il
aime son petit garçon, si son pénis est beau, s’il aime son pénis, s’il
va l’abandonner. Dans cette deuxième partie du scénario, il régresse
vers l’âge de six ou huit ans. Il y met en scène son besoin de sécurité
affective et le désir de séduire l’homme-père pour ne pas être
abandonné
14. Dans ce matériel, la persistance
des tendances féminines
se manifeste : 1. Par la personnalisation et l’appropriation du pouvoir
de désirabilité sexuelle de l’antimadone; et 2. Par la séduction, sous
un mode sexualisé, d’un représentant paternel.
Ce scénario permet la réalisation de certains désirs féminisants. En
même temps, ces désirs génèrent des anxiétés d’homosexualisation, de
démasculinisation et de féminisation. Lorsque la charge intrapsychique
associée à ces anxiétés devient trop massive, l’acting out émotionnel
15
et/ou sexuel survient. Ce passage à l’acte devient le lieu où projeter
et vider le mal-être existentiel et le mal-être-phallique.
Actuellement, le sujet a davantage socialisé ses composantes
exhibitionnistes. Maintenant, afin de contrer l’anxiété de féminisation
et d’homosexualisation, il ne s’exhibe plus devant des femmes
non-consentantes. Le scénario actuel est de consommer (alcool et
cocaïne) avec deux femmes lesbiennes qui acceptent qu’il se dénude
devant elle. Tout en parlant et en consommant avec elles, il se stimule
le pénis. Ce scénario peut durer des heures.
Que visent donc ces
conduites exhibitionnistes avec les deux lesbiennes? Ce qui a été
conscientisé, c’est la recherche d’une présence féminine afin de
contrer l’anxiété d’homosexualisation et de se réaffirmer dans son
hétérosexualité. Le matériel recueilli à ce sujet permet de penser que
des fonctions plus archaïques sont associées à ce fantasme. Il présente
un souvenir vers trois ans où il voit son père sortir et stimuler son
pénis sous la table de la cuisine. Faire de même peut représenter une
tentative pour maintenir une identification au père déchu et perdu; ce
père qui fut rejeté par la mère et les sœurs du sujet. Par ailleurs, ce
père était reconnu par les autres hommes pour sa carrure et sa force
physique. Un autre souvenir est celui de la colère de sa mère et de ses
sœurs lorsqu’il exprime son ennui et sa déception de ne pas voir son
père. Elles lui répondaient alors : « Si tu le connaissais, il ne te
manquerait pas». Il ne comprenait pas pourquoi elles disaient cela.
Vers 12-13 ans, elles lui ont parlé des inconduites sexuelles du père :
«qu’il était un violeur de petites filles, qu’il s’exhibait, se faisait
mesurer et toucher le pénis par ses filles». À la lumière de ce
matériel, quel est le sens du scénario actuel où il s’exhibe devant
deux femmes consentantes? Le sens peut être différent si le pénis est
ou non en érection. S’il y a érection, la fonction peut être de défier
les femmes de sa famille en s’exhibant comme porteur de phallacité.
Suite à la consommation et à une stimulation pénienne en continu, le
pénis ne parvient pas à conserver une érection. II continue tout de
même à se stimuler même si le pénis est flasque. C’est comme s’il
s’affichait alors davantage dans sa vulnérabilité phallique. Par l’agir
exhibitionniste, on peut penser qu’il tente de maintenir une
identification au père désiré et déchu et de défier les femmes
méprisantes et dénigrantes envers les hommes. Par ailleurs, on peut
penser qu’une autre fonction est celle d’être accepté et de faire
partie du monde intime des femmes. Dans ce scénario, il personnifie
l’«être phallique», à la fois puissant et vulnérable.
Au niveau
conscient, l’obsession concernant la musculature traduit une tentative
pour se masculiniser. À un niveau plus inconscient, on peut penser
qu’il tente de réprimer ou, à tout le moins, de dissimuler les
tendances féminines demeurées actives. Au regard des autres, ses
muscles font la preuve de sa masculinité et de sa virilité. À
l’intérieur de lui-même, au plus profond de lui-même, il sait que c’est
du vide, que c’est une façade. Dans l’ensemble des rapports
interpersonnels, il se doit de séduire et de se soumettre aux attentes
de l’autre afin d’être aimé et de ne pas être abandonné ou rejeté. En
plus d’affecter grandement l’estime de soi, cette dépendance affective
maintient le sujet dans une anxiété de démasculinisation et de
féminisation.
Un autre exemple de la présence de désirs féminisants et de sentiment
d’envie se retrouve chez cet homme en traitement pour attouchements
sexuels sur sa fille de 13 ans. Il venait de reprendre contact avec sa
fille qu’il n’avait pas vue depuis plus de 10 ans. Cet homme présentait
une hypermasculinité défensive et un complexe par rapport à sa
grandeur. Il ressentait une haine envers les hommes en uniforme
16.
Constamment, il soupçonnait sa conjointe
17
d’être infidèle et la
jalousie était une problématique centrale dans la relation de couple.
Lors d’une séance de groupe, il a confié avoir déjà exercé le métier de
danseur nu pour les femmes. Il retirait un plaisir et un sentiment de
pouvoir du fait d’être posé comme l’objet de convoitise. Chez cet
homme, la rage impuissante, la jalousie et la sexualisation des
sentiments hostiles semblent se lier à la présence d’un sentiment
d’envie envers : 1. Le pouvoir sexuel et les avantages associés au rôle
sexuel de la femme et 2. Les représentants de l’autorité masculine
(homme en uniforme).
Chez d’autres délinquants sexuels, le sentiment
d’envie se porte plutôt sur le pouvoir de la femme-mère. Ceux-là volent
les enfants à la mauvaise mère et ils se substituent à celle-ci en se
posant comme un objet maternant qui va combler les besoins de l’enfant
négligé et abandonné. Ce sentiment d’envie à l’égard du pouvoir
maternel semble se rencontrer surtout chez les hommes hypomasculins.
L’homme en apparence masculin
L’homme en apparence masculin regroupe certaines des
caractéristiques rencontrées chez les deux autres groupes. Chez l’homme
hypomasculin ou hypermasculin, un pôle de l’érotisme est investi alors
que l’autre pôle est inhibé. Chez l’homme en apparence masculin, les
deux pôles sont investis. Le conflit se manifeste plutôt par un clivage
des érotismes fusionnel et antifusionnel et un clivage des imagos
masculines et féminines.
Généralement, ce qui semble caractériser ce
type de masculinité, c’est le besoin de se démarquer, d’être différent
des autres hommes. Habituellement, les autres hommes sont considérés
comme grossiers et manquant de raffinement ou trop mous et manquant de
force phallique. Au niveau de la genralité, sous l’apparence d’être ni
«trop» ni «pas assez» masculin, ce type d’homme tente de présenter une
image favorable.
Rapport intragenral
L’homme en apparence assez masculin se présente comme ayant une aisance
masculine dans ses contacts avec les autres hommes. Il a tendance à se
considérer comme supérieur aux autres hommes. En situation de
vulnérabilité, il peut se réfugier derrière une attitude de mépris ou
de pseudo-indifférence. Pour cet homme, ressembler aux autres hommes
représente la menace d’être méprisé par les femmes. Il se doit donc
d’être un homme, mais un homme différent des autres hommes.
Souvent,
chez ce type d’homme, les imagos parentales renvoient d’une part à un
père viril et absent émotionnellement et, d’autre part à une mère
dominatrice, froide, autoritaire et qui exerce un contrôle rigide.
Aussi, c’est souvent une mère méprisante envers la masculinité.
L’attitude de mépris, le besoin d’être un homme raffiné et différent
des autres hommes indique l’emprise maternelle et le maintien d’une
certaine identification à la mère.
Rapport à l’autre sexe
Dans son rapport à l’autre sexe, l’homme en apparence assez masculin
exprime une aisance sexuelle. Il se présente comme un homme qui
respecte les femmes et un amant qui prend en considération le plaisir
érotique de ses partenaires. Le mécanisme de clivage repose sur une
dissociation de lui-même et de l’objet. Avec la madone, il se pose en
berger alors qu’avec l’antimadone il personnifie le cowboy. À prime
abord, il semble fonctionner sexuellement aussi bien dans un contexte
fusionnel qu’antifusionnel. Cependant, cette fonctionnalité érotique
repose sur un clivage. Que ce soit dans le réel ou l’imaginaire, ce
type d’homme ne peut s’autoriser les mêmes comportements érotiques avec
la partenaire amoureuse que ceux qu’il a avec une maîtresse. La crainte
est d’offenser la conjointe, de lui manquer de respect et qu’elle se
sente utilisée comme un objet sexuel. La madone est investie dans le
réel en tant que source de sécurité affective. L’antimadone, dans le
réel comme dans l’imaginaire, est investie comme objet de plaisir.
Comme chez les deux autres groupes, la madone active une anxiété de
masculinisation alors que l’antimadone active plutôt une anxiété de
démasculinisation.
Fonctionnalité érotique
On retrouve deux modes d’érotisation : un mode pseudo-fusionnel avec la
madone et un mode antifusionnel avec l’antimadone. Dans le contexte
d’une relation affective significative, une fois la conquête réalisée
et que la relation devient plus acquise, les relations sexuelles
deviennent ennuyantes et routinières. Le désir érotique s’étiole,
l’anxiété de perte érectile fait son apparition et la sexualité devient
de plus en plus mécanique. Il ne s’abandonne pas, il inhibe son désir
phallique et il est complètement centré sur le plaisir de la
partenaire. Il est dans le faire et il prend une position de
spectateur. Ainsi, il garde une distance et il ne fusionne pas
réellement avec l’autre comme le fait l’homme hypomasculin. Comme
l’homme hypermasculin, il ne peut érotiser la volupté; les sensations
voluptueuses représenteraient une menace de féminisation. Lorsque les
frustrations s’introduisent dans le réel, les composantes hostiles
prennent le pas sur les composantes désirantes. À cette dynamique du
désir érotique s’associe une incapacité à éjaculer en présence de la
partenaire qui représente la madone. Lorsque la partenaire amoureuse
est satisfaite, pour parvenir à éjaculer, il se masturbe, loin de son
regard, en s’érotisant avec des fantasmes antifusionnels.
En présence
de l’antimadone, il s’autorise davantage ses désirs masculins; ce qui
lui permet de déployer davantage d’agressivité phallique et
d’intrusivité érotique
18. Cependant, même dans
ce contexte, il éprouve
des difficultés éjaculatoires lors du coït. Pour parvenir à éjaculer,
il doit se retirer du vagin. En présence de la partenaire sexuelle, il
éjacule soit en se masturbant devant la partenaire, soit en se faisant
masturber ou faire une fellation par celle-ci. C’est comme si, ce
faisant, il voyait, il sentait son pénis et se réappropriait ainsi le
phallus. Cette dynamique éjaculatoire est aussi fréquemment rencontrée
chez les hommes hypermasculins
19. Ce type de
dynamique nous indique la
possible présence d’une anxiété coïtale.
Un exemple de cette dynamique se retrouve chez un homme dans la
quarantaine, en traitement pour avoir abusé sexuellement des deux
filles (9 et 11 ans) de sa conjointe de l’époque. Antérieurement à
cette relation, il avait vécu deux relations amoureuses significatives.
Dans chacune de ces relations amoureuses, le désir érotique s’est
étiolé assez rapidement et, en parallèle, il a commencé à entretenir
une liaison avec une maîtresse. Les relations avec ces maîtresses
étaient décrites comme des expériences intensément agréables et
excitantes. Cependant, alors qu’il se sentait particulièrement
vulnérable et que l’anxiété de perte érectile se manifestait dans une
nouvelle relation amoureuse
20, il s’est
davantage dévoilé sur son réel
fonctionnement sexuel et érotique. Pendant un certain temps, les
contacts érotiques avec ses maîtresses lui permettaient de se recharger
phalliquement et de continuer à maintenir un fonctionnement érotique
avec la conjointe lorsque le désir érotique envers celle-ci s’étiolait.
Puis, progressivement, la crainte de ne pas parvenir à soutenir le
rythme et à répondre aux exigences sexuelles de la maîtresse s’est
manifestée. L’anxiété de perte érectile est devenue de plus en plus
envahissante. Les sentiments hostiles envers cette femme,
potentiellement plus puissante sexuellement, ont finalement pris le
dessus sur sa capacité à la désirer. D’une perception d’amante complice
dans les jeux érotiques, d’une ultra femme, elle est devenue une
nymphomane, une insatiable qui risquait de le vider de sa puissance
sexuelle. L’anxiété de démasculinisation se retrouvait dans des propos
comme : «je dois livrer la marchandise, j’ai peur de ne pas parvenir à
livrer la marchandise, c’est une insatiable, elle ne pense qu’au sexe,
c’est une vraie nymphomane».
Lors de la troisième relation conjugale,
lorsque la partenaire a commencé à devenir moins fusionnelle, plus
frustrante et insatisfaite de lui, il a commencé à utiliser
sexuellement les filles de celle-ci. Le fantasme était de les corrompre
et d’en faire ses «petites putes»; une réédition de ses anciennes
maîtresses mais sans la menace, cette fois-ci, d’être démasculinisé.
Chez cet homme, l’érotisation des fillettes permet de satisfaire son
désir d’excitation érotique et de se restaurer en exerçant une
dominance phallique. Le fantasme est de les initier au sexe et de
prendre ainsi une emprise. Lorsque dans le réel, la partenaire commence
à le critiquer et à lui faire des reproches, ceci fait le rappel de la
mauvaise mère qui l’utilisait, le contrôlait et le critiquait. Par
l’érotisation des fillettes, il échappe à l’emprise de la partenaire
investie affectivement. Il n’a plus besoin d’elle, il a ses filles qui
deviennent ses objets sexuels. C’est aussi par la sexualisation qu’il
échappait au contrôle maternel. De gentil garçon devant la mère, loin
du regard de celle-ci, il devenait le mauvais garçon qui prend plaisir
à explorer la sexualité et à transgresser les interdits maternels. À la
puberté et à l’adolescence, il a vécu quelques expériences
homoérotiques avec des garçons de son âge et aussi avec des plus jeunes
que lui.
Dans le cours de la thérapie, un autre fantasme a été révélé
par ce patient. C’était un fantasme transférentiel par rapport à une
intervenante. Ce fantasme reflète la problématique liée à la menace
d’être sous l’emprise d’un autre. La solution défensive a été
d’érotiser cette menace. Dans ce fantasme, il se soumet à cette femme,
en apparence, ultra-féminine et douce. Ce fantasme met en scène une
femme corrompue qui lui fait des demandes sexuelles qu’il doit exaucer.
Dans le réel, cette femme-thérapeute, par son statut d’autorité et par
son attitude thérapeutique, représentait une menace d’intrusion, d’être
dominé, manipulé et contrôlé. Il ressentait une méfiance et une
hostilité envers cette thérapeute qui détenait un pouvoir sur lui et
qu’il percevait inattentive à ses besoins. Ce fantasme peut traduire,
en quelque sorte, la réédition de l’ancienne soumission hostile à la
mère dominatrice et invalidante dont il faut constamment se méfier.
Alors que dans le réel, la mère interdisait la sexualité, là, dans le
fantasme cette femme dominatrice est sexuelle et corrompue. Ainsi, il
échappe à la castration et l’apparente soumission est en fait une
victoire sur l’autre. Cette anxiété de se retrouver sous l’emprise d’un
autre n’est sûrement pas étrangère aux conduites érotiques de nature
pédophilique. Dans le scénario pédophilique, ce n’est plus lui qui est
sous l’emprise de l’autre; c’est lui qui corrompt et qui prend une
emprise sur l’objet via le sexe.
Chez ce type d’homme, bien que la
fantasmatique soit à prédominance hétérosexuelle, on peut aussi
retrouver des fantasmes ponctuels de nature homosexuelle comme chez
l’homme hypermasculin. Ceux-ci ont comme fonction soit de se recharger
en phallacité auprès d’un homme plus viril ou de se restaurer
phalliquement en exerçant une dominance auprès d’un homme moins viril.
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
Chez les délinquants sexuels, les marqueurs
de la santé sexuelle proposés par Crépault sont manquants ou
défaillants. Ce manque de santé sexuelle représente un facteur assez
déterminant du risque de récidive pour qu’on s’en occupe. Par
l’attention portée au spécifique sexuel, la sexoanalyse s’est avérée
complémentaire aux autres approches
21 et
efficiente pour la prévention
et la diminution du risque de récidive.
Par le destin masculin qu’ils
partagent, les hommes, dans leur ensemble, vivent les mêmes malaises et
désirs associés à la sexualité que les délinquants sexuels. La
différence en est une de degré des carences, de sévérité des
traumatismes vécus et de la solidité des ressources intrapsychiques.
Comprendre le sens et les fonctions associés au désordre sexuel aide à
diminuer la surcharge intrapsychique générée par les conflits sexuels.
Il en résulte une meilleure contenance des besoins, désirs, fantasmes
et anxiétés dont les conflits sexuels sont porteurs. Même si les
tensions conflictuelles et pulsionnelles demeurent présentes, elles
perdent de leur intensité. Il devient plus facile d’agir sur celles-ci
et de les maîtriser.
Chez les délinquants sexuels, l’«acting out»
sexuel signe, en quelque sorte, l’échec de l’appareil psychique à
effectuer l’exigence de travail imposée par la pulsion
22(Freud,
1968).
Il est possible que les sentiments d’urgence, de besoin, de nécessité
exprimés par les offenseurs sexuels au sujet de l’«acting out» sexuel
traduisent justement cet échec de l’appareil psychique à effectuer son
travail de symbolisation. C’est comme si la surcharge psychique avait
besoin de se déverser dans le réel afin d’obtenir un certain
soulagement. Toutefois, la solution utilisée ne parvient pas à amener
un réel soulagement. Tôt ou tard, le besoin se fait à nouveau sentir et
exige la mise en acte de la solution défensive. Lorsque la solution est
davantage de nature complétive, elle amène un soulagement et un
sentiment de satisfaction car le réel besoin a été satisfait.
Une autre
hypothèse concerne la possibilité que le «passage à l’acte» est de
nature sexuelle parce que la poussée provient des faits dont
l’inconscient sexuel est porteur. À plusieurs reprises, j’ai constaté
que les traumas sexuels refoulés peuvent utiliser le passage à l’acte
comme une projection dans le réel de ce qui a été oublié, refoulé ou
réprimé; à la différence, cette fois-ci, que c’est un autre qui en est
victime. Dans ce processus, on retrouve une double identification
inconsciente; celle à l’agresseur et à la victime.
Le trouble sexuel
chez les délinquants sexuels renvoie à deux complexes non résolus ou à
tout le moins insuffisamment résolus : le complexe de féminité et le
complexe de masculinité. Le complexe de féminité est plus archaïque
dans la constitution du conflit genral que le complexe de masculinité.
Un complexe de féminité insuffisamment résolu entraîne le maintien des
désirs féminisants (Boehm, 1973). Les tendances féminines réprimées ou
refoulées et les tendances masculines manifestes se retrouvent alors
dissociées et dans un rapport hautement conflictuel. Lorsque les
tendances féminines sont réprimées et qu’elles n’ont pas fait l’objet
d’un renoncement suffisant, elles entraînent des sentiments d’envie par
rapport au pouvoir féminin. Plus les sentiments d’envie sont massifs,
plus on peut s’attendre à retrouver des composantes hostiles et des
composantes plus ou moins perverses dans le scénario sexuel synthèse.
Lorsqu’il y a la présence de sentiments d’envie envers l’autre sexe,
l’agressivité phallique est davantage empreinte d’agressivité de
destruction. Le sentiment d’envie envers la femme et la féminité
s’organisent différemment chez le groupe des hommes hypermasculins et
le groupe des hommes hypomasculins. Chez les hommes hypermasculins,
c’est plutôt le pouvoir sexuel lié à la désirabilité de la femme qui
est source d’envie alors que chez les hommes hypomasculins, c’est
plutôt le pouvoir maternel de la femme qui est envié. L’anxiété de
démasculinisation est plus manifeste chez les hommes hypermasculins que
chez les hommes hypomasculins. C’est peut-être dû au fait que l’homme
hypomasculin a renoncé à une partie de sa masculinité et qu’il est
demeuré dans une certaine féminisation. Autrement dit, on craint moins
de perdre ce qu’on croit ne pas posséder ou ce qu’on ne veut pas
posséder.
Le conflit sexuel chez l’homme fonctionnant sous un mode
hypermasculin met en évidence une anxiété de démasculinisation dont la
crainte est d’être humilié et disqualifié dans son sentiment de
masculinité et de virilité. Chez l’homme fonctionnant sous un mode
hypomasculin, l’anxiété de masculinisation et la crainte d’être
abandonné sont centrales. Au long cours, le maintien des anxiétés de
démasculinisation et de masculinisation sont susceptibles d’activer
l’anxiété de féminisation. Il est possible que cette anxiété de
féminisation soit un des facteurs majeurs du passage à l’acte de nature
sexuelle dans un contexte délictuel.
Lorsque les conduites érotiques
atypiques surviennent plus tard dans la vie de l’individu, il semble
que ce soit surtout le complexe de masculinité qui soit actif. Dans ce
cas, on serait plutôt en présence d’une sexose
23
sévère chez un
individu, possiblement, prédisposé à des défaillances de l’appareil
psychique. Par exemple, un état dépressif ou hypomaniaque, un trouble
d’anxiété, d’angoisse ou d’impulsivité, la présence de traumatismes
sévères peuvent prédisposer l’appareil psychique à des défaillances.
Ces troubles affectent la capacité de contenance de l’appareil
psychique. C’est comme si les tensions conflictuelles créent une
surcharge psychique qui nécessite une voie d’évacuation dans le réel.
Lorsque la sexualité s’organise autour d’une déviance sexuelle, on peut
s’attendre à ce que le complexe de féminité soit davantage impliqué.
Dans un cas comme dans l’autre, lorsque l’«acting out» est de nature
sexuelle, ceci semble indiquer qu’il y a un trouble sexuel à quelque
part dont on doit s’occuper.
Le surinvestissement de l’imago du berger
entraîne le maintien des tendances féminines et une inhibition des
tendances masculines. Quand le berger prend trop de place, l’homme
investit la fusion au détriment de l’individuation. Il demeure dans la
position d’être l’objet du désir de l’autre. Il se pose comme l’objet
de satisfaction des besoins de l’autre. La finalité est de plaire afin
de contrer l’anxiété des représailles sexuelles et affectives. Le prix
à payer est l’inhibition des désirs masculins et une perte de contact
avec le soi phallique.
Le cowboy sans le berger produit un homme plus
masculin. Le prix à payer est la perte du droit à être vulnérable et
sensible. Dans sa fonction défensive, le surinvestissement de l’imago
du cowboy vise à contrer les anxiétés de féminisation et de
démasculinisation. L’anxiété de féminisation est plus susceptible
d’être activée par la madone alors que l’antimadone active plutôt
l’anxiété de démasculinisation. Le surinvestissement de la génitalité,
l’évitement de l’intimité amoureuse et érotique sont des mécanismes de
défense utilisés pour contrer ces menaces.
L’ensemble des délinquants
sexuels présente une utilisation défensive de l’agressivité phallique.
L’homme hypomasculin inhibe son agressivité phallique, l’homme
hypermasculin l’utilise de manière offensive et chez l’homme en
apparence masculin, elle est clivée et dissociée. La problématique par
rapport à l’agressivité phallique entraîne au niveau du comportement
érotique un «trop» ou un «pas assez» d’intrusivité érotique. Cette
difficulté a été rencontrée chez l’ensemble des délinquants sexuels qui
ont été traités à la CETTCS.
Chez l’ensemble des délinquants sexuels,
on retrouve un manque d’intégration et d’harmonisation des érotismes
fusionnel et antifusionnel. Chez l’homme hypomasculin et hypermasculin,
un pôle de l’érotisme est surinvesti au détriment de l’autre pôle. Chez
l’homme en apparence masculin, les érotismes fusionnel et antifusionnel
sont clivés. L’homme hypomasculin se fusionne au plaisir de la femme.
L’homme hypermasculin fusionne, en quelque sorte, la femme à son
plaisir. Pour l’homme en apparence masculin, dans le contexte d’une
relation affective, c’est davantage d’une pseudo-fusion dont il est
question. Il demeure en contrôle et il possède la femme en lui
procurant un plaisir dont il est le spectateur. Cette position de
spectateur lui permet de conserver une distance. Cette distance permet
de contrer les menaces de ré-engouffrement et de féminisation associées
à la madone.
Le fonctionnement sexuel de ceux qui présentent des
déviances sexuelles ou des conduites érotiques atypiques traduit la
présence de conflits par rapport à la masculinité et à la différence
sexuelle. Les troubles du désir érotique, l’anxiété de perte érectile,
l’anxiété coïtale, les difficultés éjaculatoires et érectiles
corporalisent, en quelque sorte, ces conflits. Cette panoplie de
symptômes sexuels se retrouve chez l’ensemble des délinquants sexuels.
L’homme hypomasculin a tendance à présenter des problèmes d’éjaculation
précoce ou rapide alors que l’homme hypermasculin présente plutôt un
problème d’éjaculation retardée, anhédonique ou absente.
La différence
sexuelle est conflictuelle et une manière de contourner le conflit est
de faire le déni de cette différence par la phallicisation de la femme
(Bak, 1968). Ce déni repose sur deux mécanismes. L’homme hypomasculin
se pose comme le prolongement phallique de la femme. Pour l’homme
hypermasculin, la femme devient son prolongement phallique. Chez celui
en apparence masculin, le déni de la différence sexuelle se réalise de
deux manières; il est le prolongement phallique de la femme
affectivement investie alors que l’antimadone est posée comme son
prolongement phallique. Dans ces contextes, la différence sexuelle
n’est pas une composante et une source du désir érotique; elle est
plutôt une source de menaces et de sentiments d’envie.
Dans ma pratique
clinique, plus de la moitié des délinquants sexuels disent avoir subi
des expériences d’abus sexuels par des hommes pendant l’enfance ou
l’adolescence. Plus rarement, certains rapportent des expériences
sexuelles à la pré-puberté ou au début de la puberté où c’est une femme
plus âgée qui les a initiés à la sexualité. Ces expériences sexuelles
sont surtout rapportées par des hommes présentant une hypermasculinité.
Est-ce le fruit du hasard? Est-ce que ce type d’expérience joue un rôle
par rapport au besoin, par la suite, d’hypertrophier les attributs de
la masculinité? Ce type d’expérience semble créer un terrain propice à
cette formation défensive pour contrer une importante anxiété de
démasculinisation. Par ailleurs, il semble que les garçons abusés
sexuellement pendant la première et la seconde enfance sont plus
susceptibles de développer une hypomasculinité. Fréquemment, j’ai
remarqué une correspondance entre l’âge où ils ont eux-mêmes étés
abusés sexuellement et l’âge de leurs victimes sexuelles ultérieures.
Lors de ces dévoilements, les hommes hypermasculins ont tendance à
banaliser ces expériences sexuelles avec une femme plus âgée et même à
les présenter comme un avantage. Cependant, lorsqu’on explore
davantage, ils font part du caractère anxiogène, des inconforts et
malaises associés à l’expérience. Au fil de la thérapie, il s’avère que
ces expériences ont imprégné la psyché d’un sentiment d’insuffisance
phallique. Ce sentiment sera d’autant plus envahissant si, en plus, la
mère a été perçue comme une femme séductrice et sexuelle dans son
rapport avec les hommes.
Si les craintes et les anxiétés associées à
l’anxiété de masculinitude ne sont pas suffisamment surmontées, les
anxiétés de masculinisation, de démasculinisation et de féminisation
interagissent et se renforcent mutuellement. Pour utiliser une image,
tant que ces conflits sont actifs, les anxiétés et les désirs forment
des boucles sans fin.
Empiriquement, au niveau de la personnalité, le groupe des
hypomasculins semble présenter surtout des traits associés aux
personnalités dépendantes et évitantes. Le groupe des hypermasculins
présente plutôt des traits antisociaux ou des traits rattachés aux
personnalités narcissiques et/ou hystériques. Le groupe de ceux qui
sont en apparence assez masculin présente souvent des traits associés à
la personnalité narcissique vigilante et/ou à la personnalité
passive-agressive.
Le fantasme chez les délinquants sexuels, comme dans
le cas des sexoses, n’est jamais banal; il dit, il montre quelque chose
d’ancien qui a été transformé et déguisé. Prendre le temps de regarder,
d’écouter aide à repérer les conflits liés au développement
psychosexuel. Le travail sur le sexuel permet de cerner le conflit
sexuel et d’en comprendre le sens. C’est une première appropriation qui
permet une première restauration pour le sujet. De l’informe, de
l’indicible naît une forme, un dire. À la lumière de mon expérience
clinique, il m’apparaît nécessaire et rentable de faire un travail sur
le sexuel. Ce travail diminue l’allure pulsionnelle du fantasme et la
nécessité de transférer ce fantasme dans la réalité. Le désordre sexuel
n’est plus sans sens; il a pris un sens et un sens historique. Par
conséquent, les imagos fantasmatiques ont moins d’emprise sur le sujet.
Ce faisant, nous créons un environnement favorable à la mutation
psychosexuelle. Il devient alors plus facile de créer des ouvertures
fantasmatiques et émotionnelles afin de favoriser une expérience
réparatrice qui soit davantage porteuse de maturité et de santé
sexuelle.
Pour conclure, les considérations amenées dans cet écrit
résultent de l’observation et de l’expérimentation clinique. C’est une
compréhension, un éclairage proposé afin de reconnaître et de préciser
les contenus qui peuvent être significatifs et opérants dans les
troubles sexuels. Finalement, je tiens à remercier les principaux
protagonistes de cette étude, ces hommes qui m’ont ouvert la porte sur
leur monde intérieur. Comme dit Claude Crépault, ceci nous a permis
«d’éclairer la nuit avec la lumière du jour».
NOTES
1. Sexoanalyste senior,
superviseure Institut international et Institut canadien de
sexoanalyse. Sexologue en expertise sexo-médicale, Clinique
d’évaluation et de traitement des troubles du comportement sexuel du
Centre hospitalier Robert-Giffard de Québec. Superviseure de stage en
sexologie clinique, Université du Québec à Montréal & Institut
Universitaire en santé mentale, Centre hospitalier Robert-Giffard.
2. La Clinique d’évaluation et de traitement des troubles du
comportement sexuel (CETTCS) du Centre Hospitalier Robert-Giffard de
Québec offre des services cliniques, en externe, aux délinquants
sexuels.
3. L’éphébophilie réfère à l’érotisation de l’adolescent(e) dans un
contexte inapproprié en termes d’âge, de rapport d’autorité ou de
maturité psychosexuelle.
4. Les principaux facteurs non sexuels évoqués sont : un manque
d’affirmation et d’habiletés sociales, la dépendance affective, les
difficultés émotionnelles, un manque d’empathie et de conscience des
préjudices causés aux victimes, le type de personnalité, les
perturbations de la capacité objectale. La plupart des programmes de
traitement des délinquants sexuels ciblent ces difficultés. Certains
programmes offrent quelques sessions d’éducation sexuelle et certains
autres tentent d’éteindre les symptômes sexuels par des techniques
aversives ou de reconditionnement de la réponse sexuelle. Cependant,
dans bien des cas, ces techniques et ces apprentissages ne permettent
pas de surmonter suffisamment les conflits sexuels qui sous-tendent le
trouble sexuel.
5. Le fonctionnement genral réfère au type de «genralité» développé par
un individu. La «genralité» est un néologisme créé par Crépault (1986;
1997) pour désigner la quantité de masculinité et de féminité exprimée
dans l’ensemble des conduites d’un individu. Pour ceux qui seraient
intéressés par un test visant à évaluer l’orientation de genre, Spence
et Helmreich (1978) ont élaboré un test à partir des rôles attribués à
la féminité et à la masculinité en vue de déterminer l’orientation de
genre. Ce test évalue la quantité de masculinité et de féminité
présente chez un individu à partir d’un double continuum; un continuum
de la masculinité et un continuum de la féminité.
6. L’imago du berger représente le protecteur, l’homme sédentaire qui
s’attache et recherche la fusion.
7. Le cowboy représente le rebelle, l’insoumis, celui qui ne s’attache
pas. Le cowboy est un conquérant, un homme qui est plutôt nomade et qui
recherche l’aventure.
8. Le terme «phallacité» réfère aux conduites porteuses d’agressivité
phallique. Cette agressivité est considérée comme une force
masculinisante dont la fonction centrale est de supporter la
masculinité et d’exercer une dominance intra-genrale et sexuelle. La
phallacité et sa concrétisation dans l’utilisation de l’agressivité
phallique représente un type d’énergie spécifiquement masculin lié à
l’état de mâlité. Crépault (1986) définit la mâlité comme l’ensemble
des traits somatiques propres au sexe mâle.
9. Il y a là un paradoxe; l’éjaculation rapide ou précoce est expliquée
par le fait qu’ils sont trop excités pendant la pénétration et, en même
temps, une perte de sensations est exprimée.
10. Infidèle dans le sens qu’elle ne protège pas, qu’elle n’est pas
fidèle aux sentiments qu’elle exprime. En même temps qu’il a de la
compassion pour cette mère, il éprouve aussi une rancœur qu’elle n’ait
rien fait.
11. Parmi la clientèle qui présente ce type de dynamique, on retrouve
des traumatismes et de lourdes carences familiales, affectives,
sexuelles et psychosociales. Souvent, la dynamique familiale met en
scène une absence de mère ou une mère victime et impuissante qui ne
protège pas adéquatement ses enfants d’un père violent émotionnellement
et physiquement. Dans la première enfance, on est aussi susceptible de
retrouver des expériences d’exploitation, de violence physique, d’abus
émotionnels et sexuels.
12. Habituellement, ce type de propos est plutôt rencontré chez les
femmes.
13. Bien qu’on puisse trouver un désir de convoitise chez l’ensemble
des délinquants sexuels, ce désir semble davantage prégnant dans le
groupe des hommes hypermasculins. Il apparaît en avant-plan et il est
ressenti plus puissamment. Chez l’homme hypomasculin, le désir de
convoitise est davantage en arrière-plan et moins accessible à la
conscience; c’est plutôt le désir d’affectivité qui apparaît au premier
plan.
14. Dans les différentes familles où il a été placé, le besoin de
sécurité a davantage été lié à la figure masculine que féminine. La
dernière famille d’accueil où il est demeuré cinq ans s’est révélée
incapable de le garder. Dans son souvenir, cette situation est associée
à l’incapacité de la figure féminine à soutenir l’investissement requis
par ce placement. Il était âgé de 10 ans lors du placement.
15. Je réfère à la manipulation, aux disputes violentes avec le
partenaire, aux menaces. Les comportements de consommation se rangent
dans ces mises en acte de nature émotionnelle. Ces «acting out»
émotionnels ont comme fonction d’évacuer une charge agressive et de se
distancer de l’autre.
16. Les hommes en uniforme représentent une menace et activent une
anxiété de démasculinisation. Ce sont de potentiels rivaux susceptibles
de le disqualifier dans son sentiment de virilité. Sa conjointe
travaillait avec des hommes en uniforme. Sous l’effet de l’alcool, en
présence de son conjoint, elle présentait des comportements de
séduction envers ces hommes.
17.La conjointe présentait des traits hystériques au niveau de sa
personnalité et un besoin de séduire les hommes.
18. Le concept d’intrusivité érotique a été développé par Jean-Yves
Desjardins à l’intérieur du modèle sexo-corporel. Monsieur Desjardins
est le président du collège international des sexothérapeutes. Avec
Crépault, il a été le co-fondateur du département de sexologie de
l’Université du Québec à Montréal. L’intrusivité érotique est une
habileté qui soutient le désir de conquête et le désir de pénétrance.
Chez les délinquants sexuels, on retrouve un «trop» ou un «pas assez»
d’intrusivité érotique.
19. J’ai aussi rencontré cette conduite chez des homosexuels
fonctionnant sous un mode hypermasculin. Pour parvenir à éjaculer, ils
devaient eux-mêmes se stimuler le pénis.
20. Cette femme était investie davantage en fonction de ses qualités
affectives.
21. Je réfère aux approches cognitives et comportementales qui
prévalent dans la plupart des programmes de traitement pour offenseurs
sexuels. Souvent, ces approches sont combinées à des thérapies
psychodynamiques.
22. La pulsion incontrôlée peut résulter du maintien du rapport
conflictuel entre les désirs et les anxiétés.
23. « Sexose » est un terme créé par Crépault (Crépault & al.,
1976) pour désigner l’ensemble des dysfonctions sexuelles dont
l’étiologie n’est pas liée à un simple manque d’apprentissage ou
uniquement à des anxiétés légères ou de surface comme une culpabilité
ou une anxiété de performance sexuelle. Mon travail avec les
délinquants sexuels m’amène à poser 2 types de sexose. Il y a la sexose
simple qui concerne les conflits sexuels qui ont fait l’objet d’un
certain refoulement et qui parviennent à se symboliser suffisamment
dans l’imaginaire. La sexose sévère est celle qui nécessite le
transfert des symboles imaginaires dans le réel. Ce transfert se
corporalise en quelque sorte dans le «passage à l’acte» de nature
sexuelle.
RÉFÉRENCES
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psychoanalytic Study of the child, vol 23, p. 15-36.
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Sexologie Clinique, vol. 2, no. 4, p. 352-353.
Crépault C. 1986.
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sexoanalyse. Payot & Rivages, Paris.
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Gagné S. 1989. « Le désir érotique féminin et son polymorphisme ».
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Masculinity and feminity.
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Stoller R. 1976. « L’excitation sexuelle et les secrets ».
Nouvelle Revue de psychanalyse; 14,
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Plus spécifiquement pour l’étude de la nature, du sens et
des fonctions du fantasme, le lecteur est référé à la recherche de
Crépault sur l’imaginaire érotique :
Crépault, C.
L’imaginaire
érotique et ses secrets. Presses de l’université du
Québec, Sillery, Québec, 1981.