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Utilisation de la littérature érotique en sexoanalyse : le cas d’une femme ayant un désir sexuel hypoactif
(english summary)


Julie Côté Rousseau1M.A.

INTRODUCTION

En théorie, bien que la sexoanalyse ne fasse pas usage de prescriptions, pourrait-on utiliser la littérature érotique auprès de femmes souffrant d’un désir sexuel hypoactif dans le cadre d’une sexoanalyse? Pourrait-il être pertinent de suggérer la lecture de littérature érotique à des femmes dont l’imaginaire érotique est difficilement accessible même par l’utilisation d’un exercice d’exploration fantasmatique dirigé (Lévesque, 2005)? Chez la femme dont la vignette clinique est présentée ici, l’utilisation de la littérature érotique semble avoir permis de déculpabiliser le désir sexuel et avoir donné accès à des éléments de la fantasmatique érotique latente. Dans cet article, la littérature érotique est abordée à la manière d’un outil thérapeutique.

LA DÉMARCHE SEXOANALYTIQUE

En sexoanalyse, les troubles psychosexuels sont indissociables de mécanismes inconscients (Crépault, 2005). De façon spécifique, le traitement des troubles psychosexuels va de pair avec un travail d’analyse des composants de l’ensemble de la dynamique de la vie érotique intrapsychique. Cette dynamique de la vie érotique propre à chacun de nous se retrouve condensée dans un ou des scénarios érotiques susceptibles de mener à l’excitation génitale. Dans le traitement des troubles psychosexuels, l’imaginaire érotique constitue ainsi un espace de travail intrapsychique privilégié et les scénarios érotiques - plus ou moins conscientisés selon les individus - sont porteurs d’un matériel symbolique riche qui informe sur la dynamique de l’excitation sexuelle et du trouble psychosexuel. Cependant, il arrive que des patient(e)s parviennent plus difficilement à imaginer et mettre en mots des scénarios susceptibles de leur procurer de l’excitation sexuelle. Ces résistances, souvent inextricablement liées au trouble psychosexuel pour lequel ces patient(e)s consultent, peuvent être notamment repérées chez les femmes ayant une absence ou un désir sexuel hypoactif primaire, secondaire, circonstanciel ou généralisé. Comme le relate Crépault (1997) dans sa compréhension du trouble de désir sexuel hypoactif : «l’inaptitude à avoir des fantasmes érotiques est souvent responsable du manque de désir et des défaillances de la fonction physiosexuelle» (p. 122). De fait, il arrive parfois que des scénarios susceptibles de procurer de l’excitation sexuelle ne puissent être conscientisés qu’au prix de la survenue d’une angoisse, d’anxiétés ou d’affects si douloureux que par de multiples mécanismes de défense souvent inconscients, le matériel ne peut être verbalisé. Une exploration minutieuse des fonctions et significations des résistances s’avère alors nécessaire. À mesure que le sens des résistances se conscientise et s’intègre à la dynamique psychosexuelle, les anxiétés et affects intolérables ou douloureux deviennent graduellement plus tolérables pour le moi. Il devient alors en général possible d’avoir accès à l’imaginaire érotique latent et à des fragments de scénarios susceptibles de procurer du désir ou de l’excitation sexuelle. Cependant, dans les cas de désir sexuel hypoactif ou absent, l’accession à l’imaginaire érotique peut s’avérer plus difficile compte tenu que l’inaptitude à imaginer des scénarios sexuels excitants soit souvent inhérente au trouble.

Dans la vignette clinique présentée ici-bas, la lecture d’histoires érotiques s’est avérée une aide précieuse pour stimuler l’imaginaire érotique de la patiente qui souffrait d’un désir sexuel hypoactif. Il semble que les histoires érotiques aient été utiles pour libérer la patiente de résistances rattachées à la culpabilité associées au fait de ressentir du désir sexuel. Il apparaît aussi que la lecture de ces histoires aient permis de diminuer les anxiétés que la patiente associait au fait de vivre une sexualité effective. Ainsi, la littérature érotique semble avoir rempli une fonction compensatoire transitoire qui a ultérieurement favorisé une réappropriation du désir sexuel chez la patiente.

ILLUSTRATION CLINIQUE

Colette2, âgée de 30 ans, hétérosexuelle, mariée depuis un an, consulte pour absence de désir sexuel. En cours de suivi, le passage graduel des couches plus superficielles ou conscientes de l’imaginaire érotique vers celles plus souterraines a été favorisé par la lecture d’histoires érotiques. De fait, certains contenus des histoires érotiques lues par Colette ont semblé résonner avec des contenus de la fantasmatique sexuelle latente dont Colette n’avait eut jusqu’ici qu’un ressenti intuitif. Cette résonance des contenus littéraires avec la fantasmatique latente a réveillé l’excitation sexuelle et facilité la réémergence progressive du désir sexuel. Les séances ont eu lieu une fois semaine pendant huit mois.

Jusqu’à environ la première moitié du suivi, Colette n’avait pas de désir sexuel. C’en était ainsi depuis les premiers mois qui avaient suivi la date de son mariage environ un an avant le début de sa démarche. L’imaginaire érotique de Colette était à plat et son absence de désir généralisée : aucun homme ni aucune femme ne suscitait jamais le moindre intérêt sexuel. Elle se remémorait ses rêves nocturnes avec difficulté et ces derniers n’avaient aucune résonance érotique. En séances, nous avons exploré le sens de son non-désir et des résistances, les bénéfices et inconvénients qui découlaient du non-désir et le sens que pourrait avoir pour elle le fait de retrouver son désir. Colette avait une bonne compréhension de son absence de désir sexuel : elle reconnaissait, par exemple, que son absence de désir était en partie l’expression d’une colère refoulée envers son conjoint; une façon de le punir et de maintenir une distance avec lui en même temps que d’éviter d’entrer en contact avec sa propre colère à elle. L’absence de désir était aussi associée au fait de se protéger d’une honte ancienne refoulée due au jugement négatif de son père sur son passage à une vie sexuelle active. L’absence de désir protégeait aussi Colette d’une crainte d’être envahie par la sensation de devenir une chose dépourvue de personnalité, utilisée dans l’unique but de satisfaire sexuellement son conjoint. Colette avait conscience que se réapproprier son désir signifierait entre autres d’avoir résolu le sentiment de honte et d’anciennes et plus récentes colères ainsi que d’avoir dissout les anxiétés sous-jacentes au non-désir.

Entre les séances, Colette, de sa propre initiative, s’efforçait de provoquer des situations pouvant être susceptibles de raviver son désir. Par exemple, elle portait de nouveaux sous-vêtements dans lesquels elle se sentait sexy, consciente du fait que pour en désirer un autre, il fallait d’abord qu’elle se pose elle-même comme objet de désir. Dans la même intention, elle s’était remise à l’entraînement physique pour reprendre de son tonus musculaire perdu et bonifier sa perception de son image corporelle. Elle favorisait les situations pour se rapprocher de son conjoint afin qu’il la caresse et qu’elle fasse de même dans l’espoir de ressentir l’excitation sexuelle qui aurait pu faire renaître son désir. Elle s’immergeait dans des ambiances feutrées et, confortablement installée, se masturbait selon diverses techniques, mais, disait-elle, « le cœur n’y était pas » et elle se lassait rapidement. À vrai dire, Colette avait le vague sentiment que ces efforts pour retrouver le désir étaient plaqués et davantage motivés par la crainte de perdre son conjoint que par un désir interne authentique. En même temps, Colette disait vouloir retrouver son désir et désespérait de ne pas y parvenir. De mon côté je savais, comme Francesco Alberoni en fait état dans L’érotisme (1987), que les femmes étaient supposées réceptives, à tout de moins plus réceptives que les hommes en général, aux stimulations érotiques contextuelles. Ainsi, je supposai que la littérature érotique par ses mises en contexte allant de la plus métaphorique à la plus crue aurait peut-être le potentiel d’activer l’imaginaire érotique de Colette. Comme Colette était ouverte à explorer de nouvelles avenues, j’ai donc suggéré la lecture de littérature érotique, avec l’objectif de reprendre le matériel que génèrerait la lecture dans le cadre d’un travail sexoanalytique.

Colette avait carte blanche quant au choix de roman. Je voulais la laisser libre de se diriger vers ce qui lui conviendrait comme type de littérature érotique car cette dernière possède une grande variété de formes et de tons (Evrard, 2003). Le choix du livre en lui-même, la motivation d’avoir choisi tel livre plutôt que tel autre pourrait aussi être objets d’analyse. Le choix de Colette est allé pour un livre de nouvelles érotiques récemment écrites par une auteure québécoise. Le livre, accessible à un large public, faisait référence à un imaginaire observé communément dans la littérature érotique aussi bien chez les hommes que chez les femmes, comme faire l'amour à trois, avec un inconnu ou dans un lieu public. Des nouvelles érotiques sans grande profondeur au plan de la psychologie des personnages mais, et c’est essentiellement ce qui nous importait, écrites dans un langage susceptible de procurer de l’excitation génitale, d’activer la fantasmatique érotique et de favoriser un travail d’élaboration de l’imaginaire érotique en séances.

Dès les premières lectures, quelques-unes des histoires érotiques semblèrent tout particulièrement résonner avec la fantasmatique érotique latente de Colette. Colette rapporta avoir ressenti une excitation génitale pendant la lecture. Cet accès à l’excitation sexuelle - inaccessible depuis maintenant près d’une année- redonna à Colette le sentiment d’être une femme plus entière et vivante. Cela marqua un tournant dans la thérapie. Forte d’un accès renoué à son excitation génitale, Colette prit un plaisir nouveau à explorer le sens de son excitation et de son désir sexuel. Le fait d’avoir préféré tel personnage du roman, telle mise en situation, description ou dialogue plutôt qu’un autre apportait des repères concrets auxquels elle pouvait s’identifier. En séance, Colette était invitée non seulement à élaborer à propos du contenu des histoires érotiques mais aussi à s’identifier aux personnages en totalité ou en partie, aux hommes comme aux femmes, et à élaborer ensuite librement. Comme c’est souvent le cas dans l'exercice sexoanalytique projectif du Roi ou de la Reine (Lévesque, 2005), Colette devinait qu'en s’identifiant à un personnage plutôt qu’à un autre, c'était d’elle-même ou d’une partie d’elle-même dont elle parlait. Le fait de s’identifier à des personnages épanouis sexuellement et à la féminité et la masculinité assumées renvoyait Colette à une sorte d’idéal érotique d’elle-même. L’identification aux personnages des histoires semblait déculpabiliser la plongée dans son imaginaire érotique. Ce mécanisme d’identification aux personnages est connu : «la littérature […] fourmille d’exemples de lecteurs qui «se prennent pour» leurs héros familiers et se fixent pour idéal de vie de parvenir à leur ressembler» (Bellemin-Noël, 2002, p. 60). Le phénomène identificatoire semble avoir aussi facilité la dissolution progressive des anxiétés et émotions sous-jacentes à l’absence de désir sexuel. Aussi, en puisant son excitation sexuelle à même des scénarios érotiques déjà élaborés par une auteure, Colette évitait d’être confrontée à sa difficulté– difficulté référant notamment à des sentiments de honte, de colère et de tristesse - à faire surgir d’elle-même un langage de son imaginaire érotique conscient hypoactif.

Pour Colette, la réappropriation progressive du désir et de l’excitation génitale a en partie contribué à réparer le sentiment d’une identité féminine blessée. De fait, Colette associait son désir sexuel hypoactif à une difficulté d’assumer sa féminité. Elle avait le sentiment que le manque de désir la privait d’une partie d’elle-même, un peu comme si elle n’avait pas été une femme à part entière. Aussi, le contenu des histoires érotiques qui avaient été écrites par une femme, – une auteure qui s’était donnée la permission d’élaborer des histoires érotiques, de les écrire et de les commercialiser - laissait deviner à Colette que l’auteure assumait son désir sexuel. Du coup, comme on a décrit plus tôt le phénomène par lequel Colette s’était identifiée à certains personnages des histoires érotiques, on peut aussi supposer qu’il y ait eu identification à l’auteure. Cette identification à l’auteure a pu contribuer à déculpabiliser l’accès aux contenus fantasmatiques sexuels latents et autorisé la patiente à accéder à son désir sexuel. On peut aussi supposer que Colette ait interprété ma suggestion de lecture d’histoires érotiques comme une permission thérapeutique à se réapproprier progressivement son désir sexuel.

CONCLUSION

Comme mentionné en introduction, la sexoanalyse ne recourt habituellement pas à la prescription. Dans certains cas cependant, la littérature érotique pourrait peut-être s’avérer un précieux atout pour donner accès au matériel refoulé dans l’imaginaire érotique latent ou inconscient. Partant de cela, pourrait-on faire la suggestion de littérature érotique autrement qu’à des femmes souffrant d’un désir sexuel hypoactif? Existerait-il un type de littérature érotique susceptible de stimuler l’imaginaire érotique chez un type de clientèle plutôt que chez un autre? Le genre et le sexe de l’individu pourraient-ils être des variables incidentes sur le succès de l’utilisation de la littérature érotique en clinique? Le fait que les femmes se découvrent un engouement pour la littérature érotique – ce type de littérature semble en effet gagner en popularité chez de plus en plus de femmes - pourrait-il être étudié en fonction d’une grille qui allierait une compréhension sociologique et sexoanalytique du phénomène? Voilà quelques pistes de recherches dont il pourrait être pertinent de poursuivre l’exploration.




NOTES

1. Sexologue clinicienne, sexoanalyste et psychothérapeute. 1425, boul. René-Lévesque Ouest, bureau 707, Montréal (Québec), H3G 1T7.

2. Le cas clinique de Colette a été présenté de façon plus détaillée au XIième séminaire québécois de sexoanalyse, à Ste-Béatrix (Québec, Canada), le 11 juin 2006. Le nom de la patiente a été modifié afin de préserver son anonymat. L’âge a été arrondi à 30 ans et la durée du mariage a été arrondie à 1 an dans le même objectif.





RÉFÉRENCES

Alberoni, F. 1987. L’érotisme, Paris : Ramsay.

Bellemin-Noël, J. 2002. Psychanalyse et littérature, Paris : Presses Universitaires de France.

Crépault, C. 1981. L’imaginaire érotique et ses secrets, Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.

Crépault, C. 1997. La sexoanalyse. Paris : Payot.

Crépault, C. 2005. « Nouvelles hypothèses en sexoanalyse », In Nouvelles perspectives en sexoanalyse, sous la direction de C. Crépault et J. Lévy, p. 11-31. Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.

Évrard, F. 2003. La littérature érotique ou l’écriture du plaisir, Éditions Milan.

Lévesque, G. 2005. «Sur la prescription de certains fantasmes», In Nouvelles perspectives en sexoanalyse, sous la direction de C. Crépault et J. Lévy, p. 169-180. Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.