No 1, 2007
Après plus de 25 ans d’existence, 150 sexoanalystes formés dans 8 pays, 11 séminaires québécois et 6 séminaires internationaux, la sexoanalyse était mûre pour se doter d’un organe de diffusion. Quelques années se sont écoulées entre l’idéation et la concrétisation de ce qui est devenu la Revue internationale de sexoanalyse, une publication électronique qui se donne pour mission première la diffusion de connaissances théoriques et cliniques en sexoanalyse, mais qui se veut également un carrefour de regards et de réflexions sur les thèmes qui lui sont chers : le sexuel, l’érotisme, le masculin, le féminin, l’imaginaire érotique, l’inconscient sexuel.
D’abord une approche thérapeutique des troubles sexuels, la sexoanalyse est devenue une théorie du développement sexuel puis s’est constituée comme champ d’étude1. Au fil des ans, des praticiens d’intérêts variés ont contribué à son développement et ce premier numéro témoigne bien de la vitalité de la discipline ainsi que de son ancrage à la fois historique et contemporain. Il faut savoir que cette vitalité est le fruit de l’intelligence et de la sensibilité de son fondateur, le professeur Claude Crépault, qui a mis au monde la sexoanalyse puis inspiré ses successeurs avec ses qualités remarquables : la finesse et la profondeur du clinicien, le génie de l’inventeur, la rigueur de l’intellectuel, la patience et la minutie de l’artisan. Crépault a accordé à la revue une entrevue sur le parcours de sa réflexion en sexologie, nous partageant par la même occasion la matière de son prochain livre. Le contenu audio de cette entrevue se trouve dans la section « Autres Regards » venant compléter les cinq articles présentés.
Dans le premier volet d’une réflexion portant sur l’épistémologie de la sexoanalyse, Denise Medico propose une réinterprétation de certaines notions sexoanalytiques à partir d’une perspective constructionniste. Concevant le moi sexuel comme un construit psychique et narratif et plaçant la corporalité au centre de cette construction, Medico nous éclaire quant à la position de la théorie sexoanalytique dans le traitement (une mythologie de la sexualité), aux rôles du patient et du thérapeute (scribe et guide de la construction d’une narration) et revisite la notion d’imaginaire. Les implications cliniques de sa relecture sont fort instructives.
On retrouve cette parenté des référents épistémologiques (constructionnisme, narrativité, phénoménologie) dans l’article de Claude Esturgie qui réinterprète une notion centrale en sexoanalyse : le genre. Après avoir situé le lecteur parmi les différents discours sur cette notion, l’auteur se positionne en faveur d’une vision intégrative du genre selon trois axes (sexoanalytique, narratif et fractal) et revisite, à l’instar de Medico, le travail sur l’imaginaire à des fins thérapeutiques sous ce nouvel éclairage. Une pensée riche qui situe bien l’ancrage historique et contemporain de la sexoanalyse.
En écho au thème du corps présent chez Medico et à celui de l’identité de genre chez Esturgie, Michel Goulet recourre à l’allégorie pour parler d’une forme particulière de dysphorie de genre associée à une anomalie congénitale. Clinicien de longue expérience, Goulet expose avec originalité les avatars de la masculinité et de la féminité, les paradoxes inhérents à l’expression de l’identité de genre et leurs répercussions sur l’érotisme à travers une illustration clinique reconstruite autour du personnage mythique de Merlin.
Rappelant comment le traitement sexoanalytique procède par le décodage et la modification de la dynamique érotique du patient via un travail sur l’imaginaire, Julie Côté Rousseau demande : comment travailler avec des femmes chez qui l’imaginaire érotique est difficilement accessible? L’auteure nous partage une vignette clinique décrivant son recours à la littérature érotique comme outil thérapeutique et ouvre une discussion sur les enjeux transférentiels d’un tel usage.
Enfin, dans une réflexion sexoanalytique sur les liens entre l’énamoration et l’érotisation, Katia Fournier tente de répondre à la question : pourquoi tombe-t-on amoureux. À travers trois vignettes, son article montre que l’état amoureux fait écho à des blessures survenues dans le développement (sexuel et non sexuel) ainsi qu’à des fantasmes s’étant développés concomitamment. Il montre également comment le pouvoir réparateur de l’état amoureux se combine à celui de l’imaginaire érotique pour créer une force synergique permettant de ratifier la victoire sur ces blessures surgissant du passé.
Marier discours d’explication et puissance d’évocation
Les actes du dernier Séminaire international tenu en Suisse en juin 2007 témoignent bien de l’intérêt de disciplines variées pour le champ d’étude que constitue la sexoanalyse. Nous savons au reste que ni les sexoanalystes ni les sexologues ne détiennent le monopole des discours sur la sexualité. L’érotisme, le sexuel, le masculin et le féminin, et a fortiori l’inconscient, sont des objets qui se laissent difficilement saisir. De son côté le langage artistique frappe par sa puissance d’évocation: il donne forme à nos impressions, engendre de nouvelles intuitions, un peu comme cela se produit dans notre cabinet lorsqu’une figure de la psyché du patient (ou de la nôtre?) nous saisit. Ainsi l’album « Tweedles » du groupe américain The Residents (2006) donne-t-il à voir nombre de figures familières au sexoanalyste dont l’ascension puis la déchéance du mâle qui misa toute sa vie à prouver sa puissance virile à travers le culte de son pénis et ses innombrables conquêtes sexuelles. Ou encore le film catalan « Le comment et le pourquoi » de Ventura Pons (1994) évoque-t-il avec justesse et non sans humour ces autres figures : le pouvoir du masochiste, la mécanique du crescendo dans l’activation érotique, etc.
Pour les numéros à venir, la Revue a l’intention de s’ouvrir à des contributions de penseurs et d’artistes contemporains en créant un espace libéré du jargon technique et ainsi devenir ce carrefour de regards sur le sexe. La section « Autres Regards », en plus de présenter des entrevues, sera dédiée à ce type de contributions. Nous croyons à la richesse du décloisonnement dans l’évolution des connaissances et sommes convaincus que ce partage peut contribuer à pousser la sexoanalyse plus loin. De son côté, la sexoanalyse est suffisamment mature pour se permettre d’influencer d’autres champs d’activités et de réflexions.
Ce premier numéro est dédié à Claude Crépault, avec toute notre reconnaissance.
NOTES
REMERCIEMENTS
En plus des membres du comité de rédaction et du comité scientifique, les personnes suivantes ont collaboré au premier numéro. La revue les remercie chaleureusement.