Éditorial Articles Actes de séminaire Comptes rendus Autres regards

No 3, 2010


Sur les chemins d'Éros et d'Antéros

Éditorial


Claude Crépault et Katia Fournier



On conviendra volontiers que l'humain, sur la planète Terre, est l'espèce vivante la plus évoluée, la plus intelligente. Ses facultés cognitives lui ont permis de surpasser les autres espèces. Son imagination créatrice lui a permis de transcender certaines lois de la nature. Depuis l'âge des cavernes, la progression de l'humain a été phénoménale. Peut-on en déduire que la sexualité humaine est la plus évoluée? En n'étant plus tributaire des déterminismes instinctuels, elle a certes acquis une plus grande autonomie. Des forces biologiques sont encore agissantes, mais elles sont en bonne partie filtrées par des mécanismes psychiques conscients et inconscients.

Toute évolution a pour ainsi dire un prix à payer. S'étant affranchie des instincts primaires, la sexualité humaine est devenue plus polyvalente, plus diversifiée. Sont apparus des modes d'excitation sexuelle que l'on ne retrouve nulle part parmi les autres espèces. Qu'on pense notamment à la pédophilie et à la nécrophilie! S'agit-il d'un simple dérèglement biologique? Certains pourront penser que l'attrait sexuel pour les enfants ou les cadavres n'est qu'une forme de dégénérescence ou une anomalie neurologique. Mais cela n'a jamais été prouvé sur le plan scientifique. Dans l'état actuel des connaissances, il est plus prudent de supposer que toutes les variantes sexuelles sont le résultat de l'évolution humaine, de l'émergence de l'intelligence et de la pensée symbolique. L'humain peut érotiser à peu près n'importe quoi. Son érotisme est pour ainsi dire sans limites. Nos travaux sur l'imaginaire ont largement confirmé cette grande plasticité des modes d'excitation sexuelle. Si l'on se fie à la clinique sexoanalytique, on peut émettre l'hypothèse que chaque mode d'érotisation possède ses propres signifiants psychiques. Ce qui apparaît comme étant purement pulsionnel a inéluctablement un ancrage psychique et historique.

La sexualité humaine n'a donc pas de directions biologiques prédéterminées: elle est potentiellement polymorphe. Par contre, aucune société connue n'a permis l'activation de ce polymorphisme sexuel. Toutes les sociétés imposent, à des degrés différents, des règles et des interdits quant à l'exercice de la sexualité. La culture se substitue en quelque sorte à la nature. Mais paradoxalement, plus les interdits culturels sont forts, plus cela a pour effet d'attiser le désir de transgression ou de faire prendre au désir une voie transversale. Règle générale, ce sont les hommes (et non les femmes) qui fixent les interdits sexuels. C'est la «loi du Père». Ce sont aussi les hommes qui transgressent le plus les interdits. Un autre paradoxe!

D'un côté, l'humain a une sexualité potentiellement anarchique. D'un autre côté, sa sexualité est freinée par toutes sortes de contraintes culturelles. Cette dialectique entre les forces et les contre-forces du désir sexuel mérite certes une réflexion plus approfondie. Nous avons puisé dans la mythologie grecque afin de trouver des figures symboliques de ces mouvements d'opposition entre le désir et le contre-désir. Éros et Antéros nous sont apparus comme d'excellents représentants symboliques. D'où le thème de notre VIIe séminaire international: Éros et Antéros en sexoanalyse. Bien sûr, il existe déjà de nombreuses réflexions philosophiques, sociologiques, ethnologiques, psychanalytiques et autres sur ce thème. Mais à partir de nos travaux sur l'imaginaire érotique et nos expériences cliniques en sexoanalyse, nous voulions apporter une contribution originale.

Ainsi le lecteur est invité à parcourir des réflexions de sexoanalystes portant sur ce thème qu'il trouvera sour la rubrique Articles. Trois auteurs issus d'univers extra-sexologiques ont également fait des propositions connexes publiées sous la rubrique Autres regards. Il s'agit de Sylvie Foizon-Galand, qui nous présente le fruit d'un atelier d'écriture sur l'érotisme qu'elle a conduit en France; d'Éléonore Lepièce, peintre et plasticienne d'origine belge qui commente sa toile "Sexy Houps" et de Robert Bastien, chercheur et musicien montréalais.  Le texte de Bastien sur la musique y va d'une audace formelle et nous dit quelque chose à propos de l'érotisme sans jamais l'aborder directement. Le lecteur pourra, à loisir, faire l'exercice de remplacer le mot "improvisation" par "érotisme" et trouvera matière à réfléchir et à s'amuser.

Ce troisième numéro est enrichi de trois articles hors thème et de comptes rendus. Sous cette dernière rubrique, trois auteurs de la Suisse (Medico, Monnin Gallay et Al-Dourobi) commentent des ouvrages d'intérêt pour la sexoanalyse. Celui de Denise Medico constitue un essai digne de mention sur un devenir possible de la sexoanalyse en s'inspirant de l'ouvrage de Claude Esturgie sur la notion de genre.