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No 3, 2010


La relation thérapeutique selon la philosophie humaniste rogérienne en toile de fond de la sexoanalyse
(english and spanish summaries)


Maria Martinez Alonso1, M.A.

Les affinités entre la sexoanalyse et les approches psychothérapeutiques telles que la psychanalyse, les psychothérapies analytiques à court terme et l’approche cognitivo-comportementale sont souvent évoquées dans la littérature sexoanalytique. L’approche sexoanalytique, tout comme la psychanalyse, s’intéresse principalement aux couches souterraines du psychisme appelé inconscient. Les thérapies analytiques à court terme (ex. Balint) s’apparentent aussi à la sexoanalyse par le rôle actif que joue le thérapeute dans ses interventions: il guide le patient dans ses associations vers un aspect conflictuel spécifique et identifié au départ, pour en arriver à l’interprétation. Même si la sexoanalyse a plus d’affinités avec les approches psychodynamiques, elle reconnaît la pertinence de certains principes comportementalistes (p. ex. la modification de certaines distorsions cognitives que le patient a de la sexualité). L’expérience corrective dans le registre imaginaire dans la dernière phase de la cure sexoanalytique (avec une éventuelle prescription de fantasmes) s’inspire de ces approches comme de la technique de déconditionnement (Crépault 2005, 2007). 

Claude Crépault (1997, 2005) nous dit que la sexoanalyse se situe à la frontière de ces courants de pensée cherchant à intégrer les réseaux conscient et inconscient. Elle se démarque de la psychanalyse moderne et des approches analytiques par son objet primaire d’étude, l’inconscient sexuel, et dans la place beaucoup moins prépondérante qu’elle donne au transfert (et à son interprétation). Elle n’adhère pas non plus à la perspective axée uniquement sur la modification des comportements sexuels caractéristique de l’approche sexobehaviorale (inspirée dans l’approche cognitivo-comportementale).

M’étant tout d’abord formée à l’approche centrée sur la personne (ACP) selon Carl R. Rogers à Zürich, et plus récemment à l’approche sexoanalytique à Genève et Lausanne, je baigne dans ces deux modèles. La question d’une pratique sexologique enrichie par une pensée psychologique humaniste m’a poussée à réfléchir sur les points de rencontre entre les écoles mentionnées ci-dessus dont notamment la méthodologie clinique.

Sur cet aspect, on peut définir la sexoanalyse comme une méthode thérapeutique d’orientation psychodynamique s’adressant à la prise en charge des difficultés liées à la sexualité et à la genralité, mise au point par le professeur Claude Crépault au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal dans les années soixante-dix. L’approche centrée sur la personne (ACP), pour sa part, est une méthode psychothérapeutique d’orientation humaniste s’adressant à la prise en charge des troubles psychiques, développée par le psychologue et psychothérapeute nord-américain Carl R. Rogers dans les années quarante et cinquante.

Je centre dans cet article toute mon attention sur la méthodologie clinique : les caractéristiques du cadre thérapeutique, le rôle du thérapeute dans la relation d’aide (les attitudes fondamentales du thérapeute), la position du patient (en sexoanalyse) ou du client (dans l’ACP), la relation d’aide et le processus thérapeutique favorisé tels que les approches les articulent. J’aborde des concepts-clés comme le regard positif «maternel» (l’acceptation inconditionnelle), le regard positif «paternel» (le processus d’individuation), le sens historique du symptôme, l’intégration de pulsions contradictoires (vers une plus grande congruence) et le travail sur l’imaginaire (l’analyse des rêves et la recherche des fantasmes)

Mon objectif n’est pas de placer l’ACP parmi les autres sexothérapies, mais d’attirer l’attention sur les nombreux points de rencontre entre ces deux approches. Pour le psychothérapeute humaniste rogérien, l’éclosion de la personnalité suppose une coordination de plus en plus congruente de la sexualité et de la personnalité. Le sexoanalyste donne une signification existentielle à la sexualité et porte, donc, aussi son attention à la globalité de l’individu. Tous les deux chercheront à comprendre le schéma sexuel et relationnel strictement individuel de chaque patient

Enfin, mon objectif est aussi de montrer que la sexoanalyse se situe à la frontière de la psychanalyse, de la théorie cognitivo-comportementale et de l’approche centrée sur la personne. Elle cherche à intégrer les réseaux conscient et inconscient avec une philosophie humaniste de la relation thérapeutique en toile de fond.



BRÈVE PRÉSENTATION DE L’APPROCHE CENTRÉE SUR LA PERSONNE (ACP)


Cette approche psychothérapeutique s’inscrit dans courant humaniste et elle passe de se nommer non-directive (1942) ou encore le client (1951) à «approche centrée sur la personne (1961).

Carl R. Rogers, psychologue, psychothérapeute humaniste, chercheur et enseignant, a publié la majorité de ses textes de 1942 à 1987 (année de son décès) aux U.S.A. L’époque de la formation clinique de Rogers est marquée par la première poussée du mouvement psychanalytique sur la scène américaine (1920-1930). Il se laisse néanmoins guider de plus en plus par ses observations et entretient sa vue personnelle au sujet de la thérapie. Dans sa conception, le thérapeute s’abstient d’utiliser des directives (questions, interprétations, conseils, etc). Ce qui compte, c’est la présence de certaines attitudes vis-à-vis du client et une certaine conception des relations humaines. Rogers développe à partir de ses propres expériences, de ses observations cliniques et de ses recherches scientifiques sa méthode thérapeutique. Il utilise un langage expérientiel, sensitif et phénoménologique. Reconnaître la position centrale de la personne signifie lui accorder une position centrée et l’accepter en tant que lieu privilégié de convergence, d’expérience et d’autoréférence. La singularité et l’unicité de la personne en quête d’aide (qu’il appellera « client » pour s’éloigner du modèle médical d’expertise en vigueur à l’époque) sont très valorisées. Dans son travail, Rogers découvre combien chaque personne dispose des compétences nécessaires à son développement, si on lui en facilite l’accès. La personne du client n’est pas un objet d’action thérapeutique, il est un sujet avec son individualité. Le thérapeute n’est pas le spécialiste qui va étudier un objet de science, il est une personne en relation avec le client. Il s’agît d’un nouveau paradigme, un modèle de développement et de croissance.

L’ACP repose sur deux piliers: l’hypothèse sur la nature humaine et sur le développement de la personnalité (la philosophie qui sous-tend cette approche) et l’hypothèse sur la relation d’aide entre le thérapeute et le client (la méthode).

Dans une pratique thérapeutique issue de cette conception, les connaissances cliniques sont nécessaires, mais elles ne suffisent pas au processus de changement. Pour Rogers, l’individu possède en lui-même des ressources considérables pour se comprendre, se voir différemment, changer ses attitudes fondamentales et son comportement vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres. Ces ressources peuvent être exploitées dans un climat caractérisé par des attitudes psychologiques facilitatrices exprimées par le thérapeute. L’empathie, la congruence et l’acceptation positive inconditionnelle sont nécessaires et suffisantes pour favoriser le processus de changement. Il revient au thérapeute de créer cet espace d’accueil propice à la relation. Dans cet espace commun, le client se sent libre d’évoluer.

Les travaux de Rogers ont connu un grand succès dans les années 1960 et 1970. Du point de vue historico-culturel, c’était un temps où de grands changements en matière de politique sexuelle et des droits civils ont eu lieu. Pour diverses raisons, Rogers s’est toutefois peu étendu de façon explicite sur le sujet de la sexualité. Les termes «sexualité» et «érotisme» apparaissent très rarement dans ses écrits. Un rôle important motiva la conviction de la tradition humaniste dans laquelle Rogers baignait, postulant que l’être humain serait dans son comportement fondamentalement libre et non déterminé fatalement par ses pulsions. L’être humain est pour lui plus que son sexe anatomique ou le rôle auquel ce dernier le prédispose. La globalité de l’être humain au-delà des aspects sexuels ou pulsionnels lui paraissait plus importante, de même que l’accentuation de la liberté (au-delà d’une prédominance des pulsions). Il se distancie ainsi du paradigme psychanalytique très présent dans le contexte de l’époque où il développe son activité clinique.

«Réinventer le couple» (1972) est le seul livre de C. Rogers dans lequel il tente d’étudier les relations intimes des couples et le sujet de la sexualité. Il a ouvert une voie, d’autres sont venus prendre le relais et approfondir certains aspects. C’est les thèses que Schmid, auteur allemand prolifique, a prononcées autour de l’intimité et de la sexualité que mon attention va porter tout particulièrement.

Peter Schmid (1996) tente de comprendre la sexualité d’un point de vue centré sur la personne, en particulier dans le cadre de la tendance actualisante et du besoin de relation de l’être humain. Selon Schmid, le développement de la personnalité, le devenir humain, signifie toujours aussi «incarnation». Ce processus incarné trouverait dans la relation sexuelle, en tant qu’expression corporelle de l’amour et rencontre personnelle, son apogée. Une attitude positive vis-à-vis de son corps est une condition importante à la liberté intérieure vis-à-vis de la sexualité.

Les troubles sexuels sont interprétés comme les différentes formes d’un état d’incongruence ou de désaccord interne. L’individu exprime à travers eux la relation qu’il entretient avec soi-même et avec les autres. La sexualité est dans ce cas là plus au service de l’exercice du pouvoir (fonction défensive, en langage sexoanalytique) qu’au besoin d’union et de fusion avec l’autre (fonction complétive). La sexualité peut ainsi répondre à un certain nombre de besoins différents, comme dans l’absence d’un «intérêt génital». La question centrale dans la thérapie est, selon Schmid (1996, p. 489): «In welcher Art drückt dieser Mensch in seiner Sexualität seine Beziehung zu sich und anderen aus?» ou de quelle manière cet individu exprime dans sa sexualité sa relation avec soi-même et avec les autres?

Voici quelques autres réflexions de P. Schmid autour des notions de sexualité et de santé sexuelle.

1. La sexualité englobe de façon unique les besoins et potentialités fondamentaux de la personne. Elle est l’expression du besoin de relation de l’être humain et joue un rôle central dans l’identité et/ou l’aliénation de la personne. Elle a affaire avec l’individualité d’un côté, la capacité à créer des liens de l’autre. Elle englobe plus que «moi tout seul».

2. La sexualité est quelque chose de violent, une force primitive. Elle a plusieurs fonctions et peut s’exprimer de façon multiple.

3. La sexualité est une des portes d’accès à l’être humain et à l’exercice du pouvoir. La sexualité est par définition créative. Une vie nouvelle peut en résulter.

4. Une sexualité congruente signifie la plus grande concordance possible entre les expériences sexuelles et une symbolisation correspondant au vécu (dans l’imaginaire).

5. Une sexualité épanouie est caractérisée par un mouvement dirigé, elle n’est pas figée.

Enfin, Peter Schmid avance une définition de santé sexuelle qui est très proche de celle développée par Claude Crépault. Une sexualité congruente, épanouie et centrée sur la personne se caractérise par: un mouvement tant physique que psychique (à l’opposé de la rigidité, de l’endormissement, de la tranquillité), la créativité (à l’opposé de la répétition et de la technique) et la diversité (au contraire de l’uniformité).

En tant qu’expression du dépassement de soi (transcendance), la potentialité sexuelle détiendrait une place particulière entre toutes les potentialités humaines.


CONVERGENCES ET DIVERGENCES ENTRE L’ACP ET LA SEXOANALYSE AUTOUR DE LA MÉTHODOLOGIE CLINIQUE

L’ACP met l’accent sur la qualité de la relation entre le psychothérapeute et le client. Dans cette rencontre particulière, le facteur décisif de changement et de développement tient à trois conditions de base nécessaires et suffisantes dans la personne du thérapeute à l’égard de son client. C’est plus une philosophie, une approche phénoménologique, qu’une technique. Elle affirme que l’individu est socialement constructif ou créatif; qu’il possède aptitude et tendance à la symbolisation consciente et adéquate de son expérience vécue; qu’il possède aptitude et tendance à maintenir une congruence entre l’image qu’il a de lui-même et son expérience; qu’il aspire à un regard positif sur soi. Carl R. Rogers et les cliniciens qui s’inscrivent dans cette approche font de la qualité de la rencontre entre le thérapeute et la personne en souffrance leur sujet principal d’intérêt. Il s’agit surtout d’un modèle relationnel.

Dans le traitement sexoanalytique, le patient est amené à découvrir les causes et les significations de son désordre sexuel par la parole et l’insight affectif, le travail sur l’imaginaire érotique et la centralité de la relation thérapeutique. Le changement va s’opérer via l’imaginaire, et ensuite dans la réalité. Dans la thérapie inspirée de l’ACP, l’objectif est de favoriser chez le client un processus l’amenant vers un état de bien-être psychologique qui implique une attitude non rigide face au concept de soi et des autres, une plus grande capacité d’assumer ses responsabilités par rapport à lui-même et les autres, vivre et apprendre des nouvelles choses, enfin aller vers une diminution de ses blocages. La psychothérapie signifie l’actualisation du potentiel présent chez le client grâce à une rencontre interpersonnelle propice à l’épanouissement. Plus que la technique, le facteur décisif de changement thérapeutique repose sur la qualité de la relation. Les deux approches privilégient la parole et l’insight affectif, le travail sur le vécu émotionnel et sur l’imaginaire, ainsi que la relation d’aide entre le thérapeute et le patient/client. C’est au niveau de la qualité de la relation thérapeutique et du processus de changement déclenché chez le patient que la sexoanalyse et l’ACP semblent converger.

Au niveau de la méthodologie, je vais tenter d’expliquer comment cette approche apporte au travail sexoanalytique une réflexion approfondie et riche sur la relation thérapeutique. Certaines attitudes intérieures profondes du thérapeute en combinaison avec la technique sexoanalytique permettent au patient de dépasser les blocages qui entravent son épanouissement et de poursuivre son chemin vers un accomplissement personnel et sexuel plus harmonieux.

Autrement dit, l’expérience «corrective» dans (ou via) l’imaginaire du patient est considérablement facilitée par l’expérience «corrective» qu’il expérimente («experiencing») dans sa relation avec le thérapeute (et finalement à soi-même). Le rôle de l’intersubjectivité («analyse du transfert» en langage psychodynamique ou «relation d’aide» dans la conception rogérienne) mérite d’être approfondi dans la pensée et dans la pratique sexoanalytiques.

Je porte mes réflexions sur les convergences et les divergences dans 1) le cadre thérapeutique (ou «setting»), 2) le rôle du thérapeute, 3) la position du patient, 4) les indications et contre-indications de la thérapie, et 5) le processus thérapeutique.


Setting et durée du traitement

La sexoanalyse et l’ACP sont des thérapies à moyen terme dépendant de la nature du problème, de la force des résistances et de la motivation du client. Crépault mentionne même un nombre de 25 à 125 séances (Crépault, 1997) et plus tard de 50 à 75 (Crépault, 2007). Les deux approches privilégient les entretiens individuels en face à face (d’une durée de 50 minutes, une ou deux fois par semaine). L’entretien individuel permettrait en sexoanalyse d’accéder plus facilement à la dynamique érotique, au monde fantasmatique et à l’inconscient sexuel. Crépault (2007) écrit n’avoir jamais expérimenté la sexoanalyse avec les couples et suggère une combinaison du modèle systémique et du modèle sexoanalytique. Bouchard (1999) fait des expériences intéressantes avec les couples en sexoanalyse. C. Rogers (1972) écoute des couples parler de leur mariage, de leurs difficultés, mais n’entame pas un suivi thérapeutique avec eux. Il concentre son activité clinique sur la thérapie individuelle et sur les groupes de rencontre (Rogers, 1970). Suivant la tradition rogérienne, l’ACP se pratique dans les groupes de psychothérapie (Schmid, 1996). Auckenthaler (1983), parmi d’autres auteurs, propose dans les années septante un model théorique sur la psychothérapie avec les couples centrée sur la personne.


Rôle du thérapeute

Les deux approches s’entendent sur le rôle initial du thérapeute: faciliter le processus thérapeutique avec une attitude «centrée sur la personne». Crépault (1997) conseille une attitude «centrée sur la technique» (dans mes mots), c’est-à-dire plus directive dans les phases avancées du traitement et, en particulier, dans le travail sur l’imaginaire érotique. Rogers (1957) insiste sur la centralité des attitudes intérieures fondamentales du thérapeute et d’une « atmosphère » de chaleur humaine tout au long du processus.

Le thérapeute est confronté a un défi majeur en thérapie: l’installation d’une bonne alliance de travail avec la personne en quête d’aide. Lorsqu’il s’agit de sexualité, sujet intime par excellence, les principes, les pratiques morales «acceptables et normales», les préjugés, les tabous et les dogmes représentent une difficulté non négligeable. Le poids des coutumes, de l’éducation ou de la religion peut renforcer la gêne et la résistance au changement. Souvent, tout se joue lors des séances initiales. La réciprocité de confiance entre patient et thérapeute sera la garantie de la réussite, une base très solide. Christian Bonaventure (2005) souligne :

«L’amener (le patient) à un espace de liberté, de fluidité verbale, contourner ce que les psychanalystes appellent un Surmoi tyrannique doit aider à augmenter la confiance de la relation patient-thérapeute et permettre d’avaliser plus facilement un projet thérapeutique. […] L’aide que nous devons apporter au patient ne se résume pas exclusivement à une résolution de problème, mais enveloppe l’être humain dans une dimension plus globale, plus humaniste. » (p.189).

Crépault insiste sur l’importance de créer un espace de confiance propice au dévoilement de l’intimité affective et sexuelle. C’est le rôle initial du thérapeute. Il doit établir une bonne alliance de travail par son écoute bienveillante, son empathie, son respect des résistances, son humilité, son enthousiasme, son aisance à parler des choses sexuelles, sa capacité de confrontation et sa maturité psychologique. Il se pose comme «soi auxiliaire» qui va accompagner quelqu’un d’autre dans son voyage intérieur et l’aider à voir plus clair. Le sexoanalyste questionne, écoute attentivement, suggère des hypothèses, suscite des interrogations. Il favorise la libre association concentrant son attention sur le désordre sexuel et il resitue le matériel historique par rapport à la problématique sexuelle. La sexoanalyse ne nie pas le rôle du transfert dans l’évolution thérapeutique, mais elle ne vise pas à des changements structuraux de la personnalité.

Selon C. Crépault (2007) l’analyse systématique des réactions de transfert risquerait de perdre de vue la problématique sexuelle et d’ouvrir la porte à la psychothérapie. Cette position est actuellement sujet de débat en sexoanalyse. Certains auteurs ont proposé une posture inspirée des théories de l’intersubjectivité. Medico (2007) parle de la séance thérapeutique comme un espace intersubjectif. Cet espace serait une construction commune qui a lieu entre le patient et le thérapeute, un lieu privilégié de changement. Ce concept peut inclure des aspects transférentiels, mais il s’appuie sur une vision différente de la relation thérapeutique: «C’est ici (dans le processus relationnel) plus l’expérience d’être compris et d’être en relation que le retour des modes relationnels du passé qui est important».

Ces réflexions rejoignent la pensée phénoménologique et humaniste de l’ACP. Pour C. Rogers (1951), un facteur décisif du changement thérapeutique et de développement est la qualité de la relation entre le patient et le thérapeute. Le rôle de ce dernier est tout au long de la thérapie de favoriser chez lui et chez son client trois attitudes intérieures profondes. Elles permettront à la personne en quête d’aide de dépasser les blocages qui entravent son épanouissement et de poursuivre son chemin vers un accomplissement personnel plus harmonieux. Cette rencontre est en soi thérapeutique.

Ces attitudes fondamentales et indissociables que le thérapeute centré sur la personne s’efforce de vivre dans la relation avec son client sont:

- «L’acceptation et la considération positive inconditionnelle» de la personne en quête d’aide, de qui et de ce qu’elle est ici et maintenant, de ses sentiments, de ses émotions, de son vécu immédiat, avec ses difficultés et ses caractéristiques particulières. La libre expression des sentiments est encouragée. Le thérapeute n’entrave pas le flot d’hostilité et d’anxiété, le sentiment d‘inquiétude ou de culpabilité, l’ambivalence ou l’indécision. Il favorise ainsi l’insight : une façon de voir plus clair en soi-même et de s’accepter. Le thérapeute amène le client à une plus grande acceptation de certains ressentis et vécus, de la manière la moins jugeant possible. Il s’agit de renforcer son estime de soi et d’explorer sans peur sa propre histoire. La relation thérapeutique est un lieu de reconstruction.

- «L’empathie centrée sur la personne», c’est-à-dire la capacité d’entrer dans le monde de l’autre, de le comprendre avec justesse et dans toute sa complexité, ainsi que de pouvoir lui communiquer cette compréhension. L’empathie, c’est se laisser résonner au monde du client. Le thérapeute s’attache et répond à ce qui fait sens en son client, «ce» quelque chose de vital autour de quoi s’articule son expérience profonde (« experiencing ») : voilà le défi de la réponse empathique. Le client doit percevoir cette compréhension empathique que lui porte le thérapeute. L’empathie s’attache particulièrement au «reflet des sentiments».

- «La congruence», c’est-à-dire une perception de son propre vécu en tant que thérapeute qui est en relation avec la personne en quête d’aide. Cette ouverture implique de l’authenticité de la part du thérapeute, c’est-à-dire la capacité à être soi-même, en tant que personne, en contact avec tout ce qui se passe en soi et capable de le communiquer, si cela est aidant pour l’autre.

Dans le champ de la psychothérapie, tant sur le plan pratique que sur le plan théorique, ces conditions nécessaires et suffisantes au développement de la personne, posées en 1957 par Rogers comme postulat, constituent le fondement d’un changement de paradigme anthropologique et thérapeutique. Le thérapeute cherche à favoriser l’actualisation du potentiel présent grâce à une rencontre interpersonnelle.

Comme le sexoanalyste, le thérapeute rogérien favorise la libre association, ne formule pas d’interprétations, respecte chaque client comme un cas unique, peut susciter des interrogations qui pourront être propices à la prise d’insight. Il est empathique et authentique, a une conception positive et libérale des relations humaines, une maturité émotionnelle et une bonne compréhension de soi. Il adopte un langage simple et métaphorique, évoque le contenu affectif des verbalisations du client et vise les «insights affectifs». Le sexoanalyste recadre le matériel historique par rapport à la problématique sexuelle, il reste dans le champ sexuel. Le psychothérapeute rogérien vise à des changements de la personnalité et porte son attention à la globalité de l’individu.

Merleau-Ponty (1945) rappelle que le corps visible est sous-tendu par un schéma sexuel strictement individuel avec des zones érogènes accentuées. Le thérapeute doit être à l’écoute de l’autre pour capter cette perception secrète du corps.


Position du client/patient

La sexoanalyse et l’ACP laissent une grande place à l’individuation. Les deux approches se centrent sur les ressources internes de la personne. Le thérapeute fait confiance au patient/client dans sa capacité de se comprendre Il favorise chez son patient une référence croissante à soi-même comme source d’évaluation. Il adopte une position de facilitateur et non pas d’autorité. Il doit éviter de s’enfermer à l’intérieur d’un modèle théorique trop rigide.

Chaque client ou patient porte en soi une théorie et le thérapeute est suffisamment intuitif pour comprendre les idiosyncrasies. Le thérapeute doit essayer de rentrer dans son cadre de référence et de l’accompagner là où il est. Il le suit de très près, s’efforce de le comprendre comme le patient se comprend (capacité empathique). Le thérapeute va à son rythme et le soutient dans cette démarche. Le changement prend corps dans ce champ interactionnel thérapeute/client. Selon Lamboy (2003), la relation thérapeutique s’appuie sur le pouvoir de l’interaction.

En sexoanalyse et dans l’ACP, le patient définit lui-même le cadre de sa thérapie, évaluant ce qui est raisonnable et possible et respectant son économie psychique. L’association libre lui donne une grande liberté. Il peut se sentir acteur de sa propre vie et réalisateur de ses objectifs à travers ses productions (oniriques et fantasmatiques en sexoanalyse).

Merleau-Ponty (1945) écrit: «Dans le temps de la relation, le monde du thérapeute et celui du client sont étroitement liés. Ils existent dans un tissage relationnel complexe, fait d’une multitude d’échanges et par la résonance implicite à ces échanges» (p. 208).


Indications et contre-indications

Les deux approches soulignent la présence d’un contact psychologique, l’aptitude à l’insight et à la pensée symbolique, une anxiété ou une vulnérabilité renvoyant à un conflit intrapsychique et la motivation au changement, comme étant des conditions pour une indication de la thérapie.

La cure sexoanalytique vise à l’acquisition d’une meilleure santé sexuelle. Elle est indiquée quand ces conditions sont réunies (Crépault, 2007):

- Présence d’un trouble de la fonction érotique ou de la genralité suffisamment sévère (« désordre sexuel malin »), c'est-à-dire qui résulte d’une perturbation dans le processus d’individuation sexuelle ou d’un conflit sexuel important.

- L’aptitude à l’insight: le patient doit être capable d’introspection, de réfléchir «de l’intérieur» sur le sens de ses affects, de ses attitudes, de ses conduites, de sa problématique sexuelle.

- L’aptitude à la fantasmatisation: la cure sexoanalytique repose en grande partie sur l’analyse des scénarios fantasmatiques et des contenus oniriques sexuels. Elle n’est pas à conseiller aux personnes avec une vie imaginaire très pauvre et qui sont incapables de mentaliser leurs affects et de se les représenter sous forme de fantasmes.

- La motivation au changement: celle-ci rend le pronostic plus favorable. Elle peut être renforcée par une bonne alliance de travail. Plus le désordre sexuel engendre une égodystonie et une souffrance intérieure, plus la motivation au changement est forte.

- Absence de psychopathologie sévère: troubles majeurs de la personnalité ou une incapacité de différencier le réel de l’imaginaire et réciproquement.

Rogers (1957) définit aussi un ensemble de conditions qu’il juge nécessaires à l’amorce d’une modification positive de la personnalité et dont la combinaison semblerait suffire à l’ouverture d’un tel processus:

- Un contact psychologique entre le thérapeute et son client.

- Une discordance intérieure, une vulnérabilité ou une anxiété chez le client.

- Une concordance intérieure - congruence - ou une véritable intégrité relationnelle chez le thérapeute.

- Une considération - ou un regard - inconditionnellement positif chez le thérapeute.

- Une compréhension empathique du système de références propre au client et la volonté de lui faire partager cette compréhension chez le thérapeute.

- La perception, au moins embryonnaire, par le client de la compréhension empathique et de la considération positive inconditionnelle du thérapeute.


Biermann-Ratjen, Eckert et Schwartz (1997), auteurs très prolifiques et représentatifs de l’ACP en langue allemande, soulignent l’importance de la question de l’indication en thérapie. Ils estiment que la thérapie centrée sur la personne est indiquée, quand les conditions suivantes sont présentes chez le client: a) présence d’un trouble psychique qui résulte d’une «incongruence» (état de discordance entre l’évaluation d’une expérience vécue et le concept du Moi ; b) capacité d’apercevoir une partie de cette incongruence; c) capacité d’entrer en relation au moins en partie avec soi même (introspection); d) motivation au changement et e) capacité d’apercevoir les attitudes d’aide du thérapeute (trois attitudes de base).


Processus thérapeutique

Les changements en thérapie en sexoanalyse et dans l’ACP se font graduellement. La personne en quête d’aide est invitée à rentrer dans un processus composé de plusieurs étapes.

Crépault (1997) les a définies comme suit:

1) Phase d’évaluation. L’objectif est d’établir s’il y a une indication à la cure sexoanalytique. Il faut évaluer la nature et la sévérité du désordre sexuel, l’aptitude à l’introspection, la capacité fantasmatique, la force du «Moi», la motivation au changement. Crépault (1997) précise qu’une attitude empathique du thérapeute est particulièrement importante pendant cette phase:  il doit explorer sans être intrusif, respecter les résistances, être à l’écoute du ressenti, du désarroi, de la souffrance intérieure» (p. 255).

2) Phase de clarification. Le but est d’explorer en profondeur l’histoire sexuelle: le développement de la sexualité, de la genralité, des relations amoureuses, des perceptions de l’autre sexe.

3) Phase d’analyse de la signification du désordre sexuel. Elle porte sur le décodage de la signification actuelle et du sens historique de la problématique sexuelle. Crépault (2007) souligne le souci de décrire les phénomènes sexuels avant de passer à leur interprétation.

4) Phase de l’expérience corrective sur l’imaginaire. Le terrain est maintenant propice à une expérience «corrective», à un travail de réintégration sur l’imaginaire et d’appropriation dans le réel.


Carl R. Rogers n’a pas spécifié de phases ou d’étapes à parcourir en thérapie. En dehors d’une évaluation initiale de l’indication d’une thérapie selon les critères de l’ACP, la «tâche» du thérapeute est d’offrir à son client les attitudes psychologiques profondes qui caractérisent la relation d’aide. Par sa façon d’écouter et de répondre, il va lui permettre de développer des aptitudes, à percevoir de plus en plus finement son expérience immédiate. En l’aidant à repérer comment se forment et s’articulent les événements dans son champ de conscience, leur lien direct avec ce qu’elle vit, la personne avance à son rythme. Au cours de cette démarche, elle arrive à se repositionner de façon plus adéquate en fonction d’une évaluation personnelle facilitée par le thérapeute. Le processus de changement démarre dès que le client se sent vraiment entendu, qu’il sent que le thérapeute l’a rejoint dans son cadre de référence et qu’il est encouragé à se définir par rapport à son lieu d’évaluation interne. Rogers (1961) suggère qu’à partir de ce moment le changement se produit de son propre fait. Il s’agît davantage de le laisser s’opérer.

J’ai repéré dans les processus thérapeutique certains concepts-clé partagés par la sexoanalyse et l’ACP que j’aimerais aborder avec vous.


a) Le regard positif «maternel»: vers l’acceptation inconditionnelle

La sexoanalyse et l’ACP évoquent le besoin psychologique fondamental de l’être humain de se sentir suffisamment aimable. La mère initialement va apporter à l’enfant cet amour et cette valorisation. Elle doit être suffisamment aimante et devenir source de valorisation narcissique. Je vais parler de « regard positif maternel ». Carl R. Rogers (1961) précise que cet amour devrait être un amour inconditionnel. Ne pas être aimé pour ce qu’on est équivaut à une non-existence ou une existence à travers les autres. Le « soi montré » sera une falsification du « vrai moi » (Crépault, 1997). Le thérapeute amène le client à une plus grande acceptation de certains ressentis et vécus, de la manière la moins jugeante possible. Le client arrive à renforcer son estime de soi et à explorer plus librement sa propre histoire.

b) Le regard positif «paternel» : vers le processus d’individuation

La sexoanalyse parle d’une pulsion d’individuation. L’individuation est nécessaire à la maturation et elle doit être activée par cette force « maturationnelle » interne. La crainte d’être abandonné peut entraver ce mouvement d’individuation. Si cette anxiété d’abandon est prédominante, l’individu ira jusqu’à sacrifier son identité personnelle pour conserver ses liens privilégiés et fusionnels avec les parents réels ou symboliques. Le sexoanalyste évite de créer un lien de dépendance avec son patient. Comme indiqué ci-dessus, il évite à ce titre d’interpréter le transfert de façon systématique.

L’ACP s’inscrit indéniablement dans une démarche d’autonomisation: le client est invité à trouver sa propre définition et à se relier à son «autorité interne». Au cours de la thérapie, il peut se réapproprier sa vie partant de ses propres repères et se détachant peu à peu de références externes.

Le sexoanalyste et le psychothérapeute rogérien peuvent aider avec leur regard respectueux le patient/le client dans son processus d’individuation. Ils éviteront de (re)créer le lien de dépendance que le patient/client a l’habitude de vivre avec les autres. La personne est amenée à vivre une sorte d’intimité psychologique en thérapie, à tisser un lien profond avec le thérapeute. Elle fera l’expérience de se sentir respectée dans son individualité sans avoir à craindre d’être envahie et attaquée dans son identité personnelle («anxiété de réengloutissement» dans le langage sexoanalytique). Une référence croissante à lui-même comme source d’évaluation est très favorisée.

Comme Crépault (1997) l’indique: «S’individualiser, c’est se prouver qu’on peut en partie se suffire à soi-même, qu’on peut s’aimer à partir de ses réalisations personnelles, qu’on peut être son propre public» (p. 25).

Et dans la même lignée Carl Rogers (1961): «L’individu en vient à ressentir que son lieu d’évaluation réside en lui-même. Il se tourne de moins en moins vers les autres en quête d’une approbation ou d’une désapprobation.» (p.34).

Cette fonction d’encouragement à l’individuation et l’autonomie chez l’enfant, comme chez l’adulte, peut être qualifiée de regard de type «paternel».

c) Sens historique du symptôme

En sexoanalyse, le trouble sexuel est mis en relation avec l’histoire sexuelle et les conflits qui ont pu en résulter. Le retour sur le passé est encouragé dans la mesure où il situe la souffrance dans l’histoire personnelle et dans le cadre de référence du client. Ceci permet de mieux cerner les facteurs ou situations qui ont contribué à la formation des anxiétés inhérentes au désordre sexuel et aux conflits intrapsychiques. Si la sexoanalyse situe le facteur décisif de changement dans le «remodelage» de l’imaginaire, l’ACP attribue le moteur d’évolution à la relation d’aide telle que C. Rogers l’a définie. Je pense que dans la cure sexoanalytique le changement est aussi activé en grande partie par la rencontre entre le thérapeute et le patient. Cette rencontre privilégiée permet à la personne une symbolisation adéquate du vécu et du ressenti dans l’ici et maintenant: elle se sent profondément comprise.

Pour le sexoanalyste, la prise d’insight concernant les causes probables du désordre sexuel a surtout pour effet d’atténuer les résistances au changement. Dans la thérapie centrée sur la personne, le contexte dans lequel cet insight est  expériencé»2 permet en soi l’ouverture au changement.

d) L’intégration de pulsions contradictoires: vers une plus grande congruence

L’intégration ou non-intégration de pulsions (ou de parties du Moi) contradictoires pour arriver à une plus grande congruence interne est un critère recherché de maturité sexuelle et de bien être psychologique dans les deux approches. Crépault (1991) qualifié la non-intégration des érotismes fusionnel et antifusionnel comme un désordre sexuel…souvent négligé. Il écrit:

«Dans l’approche sexoanalytique, la maturité sexuelle est vue comme l’aboutissement d’une série d’intégrations: intégration des bons et des mauvais objets internes, intégration des besoins de fusion et d’individuation, intégration des bonnes et des mauvaises imagos maternelles et paternelles, intégration des composantes masculines et féminines de la personnalité, intégration des érotismes fusionnel et anti-fusionnel dans le lien hétérosexuel» (p. 185).


La sexoanalyse et l’ACP parlent du besoin de l’enfant (et de l’adulte) de se sentir aimé et accepté par les personnes significatives. Les parties (émotions, sensations, pensées, pulsions) « niées » de sa personne par l’entourage vont être refoulées ou déformées par le sujet. Il s’opère alors une sorte de «clivage», d’incongruence interne, qui protège, mais qui, en même temps, est source de grande souffrance. Selon Crépault (1997), «le soi montré sera une falsification du vrai soi » (p.25). Cet éloignement progressif de l’enfant de son noyau central d’identité est un concept central dans la théorie du développement de la personnalité de C. Rogers.

Une partie importante du travail thérapeutique consiste en l’intégration des pulsions (émotions, sensations, etc.) contradictoires dans l’expérience que le patient/client fait de lui-même. La sexoanalyse passe par un travail de compréhension de la genèse des clivages. Les attitudes de base du thérapeute, telles que Rogers les a décrites, facilitent ce travail d’intégration.


VIGNETTE CLINIQUE: ROBERT

Le parcours en sexoanalyse de Robert m’a surpris et touché davantage. Cette thérapie m’a permis de comprendre une fois de plus le poids de la rencontre entre thérapeute et patient dans le processus de changement de ce dernier. Robert a dépassé la soixantaine et la souffrance qui le motive à consulter l’accompagne depuis l’adolescence. Marié depuis 36 ans, il décrit une absence de sensibilité et de sensations («comme entrer dans le vide») au niveau du gland aussitôt qu’il pénètre sa femme. Une rapide perte érectile survient se soldant par une incapacité de jouissance. Cette situation perdure depuis sa jeunesse et il se dit dans une impasse psychologique. Il consulte pour se «libérer de certaines obsessions autour de la femme et du sexe» et pour «faire la paix avec soi-même». Robert, notaire, se décrit comme un homme très correct et respectueux. Sa libido lui posse un grave problème moral, car il est fréquemment «assailli par ses vieux tourments» qui le poussent a des activités masturbatoires qu’il vit avec beaucoup de culpabilité vis-à-vis de sa femme.

Dans le fil de la thérapie, Robert reconstruit son histoire de vie et repère des éléments clés du développement de sa sexualité et de sa genralité. Il exprime ses frustrations en relation avec la stricte éducation reçue de ses parents, débordés avec une fille atteinte d’un grave handicap dès la naissance. Robert, l’enfant, n’existe pas à côté de sa sœur, qu’il déteste. La honte est un sentiment qu’il connaît bien. À propos d’un père hautement discipliné et droit, d’éthique élévée et bien maîtrisé, il dira: «ma mère, très pudique et peu affectueuse, n’aimait pas les choses du sexe et il la respectait». Enfant solitaire, enfant trop sage. Il découvre assez tôt les plaisirs de la masturbation, symbole du pêché pour ses parents. Ainsi grandi-t-il, «autiste» avec les filles, jusqu’à son mariage à 25 ans. Avec sa femme il aura pour la première fois des relations sexuelles complètes à trois reprises. Elle devient enceinte les trois fois. Après la naissance de leurs trois filles, la sexualité du couple est et reste inexistante. De façon sporadique, il se livre à «l’amour tarifé» et teste la pénétration vaginale avec les prostituées, sans succès. Il repart déçu de lui-même, se sent «handicapé sexuellement» et honteux.

Dans nos séances, Robert développe entièrement confiance en moi, dans la relation, qui devient veritablement thérapeutique pour lui. Il vient «se confesser» avec moi et «se vide». Ceci l’aide à se calmer, à déconflictuer et à déculpabiliser sa sexualité. Nous explorons ses rêves, ses fantasmes érotiques, ses visites aux prostituées. Lui, qui vit dans une grande privation d’échanges affectifs et sexuels satisfaisantes, découvre dans notre rencontre une sorte d’échange qui le soulage. Je l’écoute avec véritable intêret, avec une acceptation inconditionnelle, et il se sent compris pour la première fois de sa vie. Il se sent exister. Il dira que la thérapie est son petit jardin secret, «plein des mauvaises herbes mais le mien!».

Graduellement Robert comprend mieux sa rélation à ses parents. Il peut valoriser certains aspects de son couple. Le sexe devient moins inquiétant et moins culpabilisant et il retrouve une réconciliation avec soi-même. Il est apaisé. La culpabilité qui l’amenait à l’impensable et au non ressenti cède la place à l’empathie vis-à-vis de soi. Et soudainnement l’impossible devient possible: à 61 ans, il éjacule avec jouissance pour la premiere fois avec une femme, une prostituée. Il dira qu’il était concentré sur ses sensations, dans son corps, «dans la perception et non pas dans le schéma». Aussi, elle s’est sincèrement intéressée à lui. Il s’est senti exister dans ses yeux.

Le traitement sexoanalytique s’est étalé pendant six mois (23 séances). Robert ne pouvait pas concevoir au début du traitement qu’une femme puisse s’intéresser à lui et l’aimer pour lui-même. Son image de la sexualité chez la femme était conditionnée par son vécu avec sa mère. Sa perception du désir sexuel chez les femmes et de sa capacité à les satisfaire sexuellement s’est modifiée au fil des séances. Il a l’impression qu’il a tourné «la page noire de son existence».



CONCLUSION

«En tout cas la prise de conscience, dans les traitements psychiques, resterait purement cognitive, le malade n’assumerait pas le sens de ses troubles qu’on vient de lui révéler sans le rapport personnel qu’il a noué avec le médecin, sans la confiance et l’amitié qu’il lui porte et le changement d’existence qui résulte de cette amitié. Le symptôme comme la guérison ne s’élaborent pas au niveau de la conscience objective ou thétique, mais au-dessous. » Merleau-Ponty (1945, p. 201)


L’objectif central en sexoanalyse est d’amener le patient à comprendre la genèse de son trouble sexuel et les facteurs inconscients qui contribuent à son maintien pour ensuite faire une expérience adaptative («corrective») sur l’imaginaire et le réel, afin de rétablir la fonctionnalité sexuelle et de permettre l’acquisition d’une meilleure maturité et santé sexuelle.

L’ACP met l’accent sur le processus de réorganisation susceptible de se produire chez le client, si les conditions sont «facilitatrices». En l’écoutant au plus proche de ce qu’il vit et en l’aidant à rejoindre en lui ce qui va dans le sens de sa transformation, l’ACP vise à mobiliser les ressources inhérentes à la personne. L’expérience «corrective» a lieu dans la rencontre thérapeutique telle qu’elle est définie par Rogers (Schmid, 1996). La dimension interpersonnelle retrouve ainsi toute son importance dans le processus de changement.

Les deux approches se retrouvent dans une conceptualisation expérientielle du sexuel. Ils centrent leur attention sur une compréhension de la sexualité telle qu’elle est vécue intérieurement par la personne. Prendre en compte la personne dans sa subjectivité, la respecter dans son individualité et idiosyncrasie, l’encourager dans une démarche d’autonomisation, voilà ce qui les caractérise. Je pense que la sexoanalyse met en priorité les valeurs de la philosophie humaniste: les attitudes d’écoute, de non-jugement, de compréhension empathique, de respect de la personne, d’authenticité, de non-pouvoir sur l’autre, du droit à exister sur la base de ses propres aspirations, etc. En dehors d’un modèle médical pathologisant où le thérapeute se situe comme «autorité», elle s’efforce d’encourager le patient dans sa démarche d’autonomisation. Le sexoanalyste aide le patient à trouver une solution qui pourra harmoniser son inconscient et son conscient, son imaginaire et sa réalité, ses fantasmes et ses rêves. Il lui permet de prendre des décisions en fonction de ses capacités et de ses ressources et de trouver tout simplement un mieux-être sexuel, et non une perfection sexuelle. C. Crépault (2005) propose de:

«Soulager progressivement la personne de ses souffrances sexuelles en la libérant de ses conflits, lui donner la possibilité qu’Éros puisse circuler librement en elle sans l’aliéner pour autant, l’aider à être suffisamment à l’aise avec sa genralité et son rapport à l’autre sexe.» (p.18).

L’«aide», selon l’approche centrée sur la personne, est le fait de favoriser la croissance personnelle. Cette croissance se fait d’«elle-même», lorsque deux personnes parviennent à se rencontrer dans l’esprit de l’empathie, du non-jugement et de l’authenticité. Aider le client à se vivre d’une manière qui le satisfait profondément et à s’exprimer pleinement équivaut à l’aider à devenir soi-même. En langage sexoanalytique cela signifie sortir de la rigidité des réponses, de l’image de soi et de l’image de l’Autre, pour arriver à une plus grande souplesse dans l’imaginaire et dans le réel. C’est l’objectif thérapeutique principal. La polyvalence est favorisée: sortir des scénarios rigides. L’espace particulier à la relation thérapeutique se manifeste comme l’ouverture d’un espace créateur dans lequel le processus de changement prend place.

Je souhaite finir ma réflexion avec les mots suivants de Peter Schmid (1996) qui sont tellement proches du langage sexoanalytique:

«Une sexualité humaine réussie tend vers une sexualité qui libère véritablement, qui respecte et estime la personne du partenaire et la sienne propre, qui vise à la transcendance de soi. La sexualité est franchissement des limites. L’image adéquate n’en est pas le cercle fermé, mais la spirale ouverte qui s’élève» (p. 508).




NOTES


1. Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP, pca.acp. Thérapeute praticienne EMDR.  Sexologue clinicienne ASPSC. Sexoanalyste senior ISS / IIS. Présidente de l’Institut Suisse de Sexoanalyse.

2. Il revient à Gendlin, ancien collaborateur de Rogers et fondateur du Focusing, d’avoir conceptualisé la notion d’experiencing. Elle est la réceptivité intérieure d’un corps vivant, une appréhension de soi première, sensitive, expérientielle, inédite.



RÉFÉRENCES

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