No 3, 2010
Complémentarité / Maternités
Commentaires de lectures par Dubravka Al-Dourobi
1
Dr Catherine
Solano
Les
trois cerveaux sexuels. Entre pulsion, émotion et réflexion: comment
vivre sa sexualité
Robert Laffont, coll.
"Réponses"
2010
La sexologue française Catherine Solano nous offre, dans son dernier
livre, sa vision de la construction de la sexualité. Par la clarté de
son expression et un savant mélange d’optimisme et de raison, ainsi que
par son côté humble et respectueux, l’auteur nous réserve un voyage
passionnant dans l’univers des trois cerveaux sexuels où, entre le
pulsionnel, l’émotionnel et le cognitif, aucun n’est supérieur à
l’autre.
L’auteur a choisi de développer son récit dans le sens chronologique,
en commençant par le cerveau pulsionnel. Mais cette chronologie reste
juste apparente, car les deux autres sont de la partie depuis le début
et sans déranger, bien au contraire.
Plonger dans la lecture des
Trois cerveaux sexuels,
c’est comme
embarquer dans sa propre machine à remonter le temps et se laisser
surprendre. C’est décider de prendre les commandes soi-même ou choisir
d’être coaché par un pilote plus avisé. C’est décider de la durée des
allers-retours dans sa propre histoire, sur le long chemin de sa propre
construction sexuelle. C’est surtout de ne pas se sentir à aucun moment
ni seul, ni nul, ni anormal, ni honteux et encore moins jugé et
condamné. C’est se donner le droit de reculer si l’on a choisi le
mauvais chemin et de reprendre à zéro.
Plonger dans le mystère du cerveau sexuel pulsionnel, c’est comme
plonger au fond de l’océan de l’humanité, remonter à la nuit des temps
pour s’imprégner des souvenirs qui remplissent les méandres de notre
héritage reptilien. C’est commencer à sentir l’effet qu’ils font et
émerger à la surface de l’océan – au cœur du cerveau sexuel émotionnel.
À nous de décider comment nager là-dedans et à quel rythme. À nous de
décider s’il est plus excitant de se laisser bercer sur les vagues de
nos émotions ou d’être basculés et portés par des vagues puissantes.
Boire la tasse de temps en temps ne signifie pas que nous ne savons pas
nager. À nous de décider quand et pour combien de temps nous avons
besoin de passer sur la terre ferme du cerveau cognitif, de faire appel
à nos pensées pour faire le point avant de replonger en quête d’un
nouveau frisson; et à chaque fois seul ou accompagné. À chaque fois
nos rêves et nos fantasmes, notre identité et notre orientation
sexuelle ont le droit de cité à côté de notre partenaire.
Naviguer dans
l’univers de notre sexualité, à travers de nos trois cerveaux sexuels,
nous donne le droit de réfléchir sur comment accorder notre style avec
celui ou celle qui nage à nos côtés, ainsi que le droit de décider de
partir à contre-courant.
Au fil des pages nous avons le choix de
comprendre comment Catherine Solano conçoit son rôle du coach si nous
avons besoin d’elle, sans qu’elle s’impose pour autant, bien au
contraire. Elle nous invite à choisir celui qui nous convient le mieux
et qui correspond à nos besoins. Elle explique d’ailleurs tout au
début, que son récit est le fruit de son expérience de sexologue, des
échanges avec ses patients, avec ses collèges et des lectures qui lui
ont permis d’aller plus loin.
Si je devais résumer le livre, je dirais d’un patient entrant dans mon
cabinet et ayant lu
Les
trois cerveaux sexuels qu’il est déjà
sensibilisé à la sexoanalyse.
Elisabeth
Badinter
Le
conflit, la femme et la mère
Flammarion
2010
Dans son dernier ouvrage la philosophe française Elisabeth Badinter
dresse un remarquable tableau sur les regards actuels de l’Occident au
sujet des rapports que les femmes entretiennent avec la maternité. Au
fil des pages le rapport femme-mère est dévoilé dans toute sa
complexité. L’auteur construit son récit autour de l’axe sujet-objet
tout en mettant en avant sa nature contradictoire. Celle d’une société
qui prône l’individualisme hédoniste, le droit à l’épanouissement
personnel du sujet et qui demande en même temps à la femme d’y renoncer
pour assurer la survie de l’espèce. Celle d’un droit prétendu à
l’égalité des sexes et à son évitement dans la vie de tous les jours.
La
contradiction perdure aussi dans le fait qu’aucune loi n’oblige les
femmes à engendrer et pourtant elles sont soumises au jugement moral si
elles se refusent à le faire: «On intime l’ordre aux premières de faire
de nécessité vertu, on regarde les secondes comme des égoïstes ou des
handicapées qui n’ont pas accompli leur devoir de féminité.» Et de se
demander «comment échapper à l’enfermement maternel dès lors qu’il est
d’un puissant consensus social ? Comment changer la donne quand toute
la société est organisée par les hommes et pour les hommes qui ne
trouvent qu’avantages au statu quo?» L’auteur dénonce «une véritable
guerre idéologique souterraine, dont on ne mesure pas encore les
conséquences pour les femmes».
Si, à prime abord,
Elisabeth Badinter prouve un engagement constant pour la condition
féminine, la richesse du récit ne s’arrête pas là. Fort de reconnaitre
la multitude des facettes dont la femme moderne a fait l’acquisition,
l’auteur constate que «l’illusion d’un front uni des femmes a volé en
éclats, tant leurs intérêts peuvent diverger». Et de rajouter «De quoi,
là aussi, remettre en question la définition d’une identité féminine».
À
partir de ce constat, Elisabeth Badinter fait un état des lieux précis
des rapports actuels que les femmes occidentales entretiennent avec la
maternité et qui est particulièrement intéressant pour nous. Nous
découvrons une palette riche et surtout hétérogène des stratégies que
les Américaines, les Japonaises et les Européennes mettent en place
pour se faire reconnaître. L’enfant, celui qui ne parle pas, qui n’a
pas son mot à dire, est devenu, à son insu, une arme redoutable dans ce
conflit que la femme livre à la mère, à la société et aux hommes.
Le
continent féminin, plus mystérieux que jamais est habité d’un bout à
l’autre par des «tribus» de toutes sortes. Sur les extrémités de cet
échiquier étrange règnent des femmes aux regards très opposés. Nous
trouvons d’un côté celles qui assimilent la maternité à la féminité et
qui nous font penser au syncrétisme de l’aube de l’humanité. Elles sont
représentées par les militantes de la Leche League et les naturalistes,
qui ne s’amputent pas pour autant de la pensée féministe. De l’autre
côté nous trouvons celles qui défient toutes les règles et tous les
stéréotypes - les child-free - dont la présence rappelle étrangement
l’idée de la nécessité de tout déconstruire chère à certaines autres
féministes américaines. Dire qu’elles défient toutes les règles n’est
pas un mot de trop car pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité il y a des femmes qui déclarent ouvertement que la maternité
est à l’opposé de la féminité et antagonique au plaisir. Le point
commun avec les premières est un égoïsme extrême car pro et contra la
maternité sont au service de la jouissance, valeur par excellence d’une
société qui favorise l’épanouissement personnel.
Entre ces
deux extrêmes se situent toutes celles qui essayent à tout prix de
trouver un compromis quelconque entre le rôle de mère et celui de femme
active car le choix de vie l’impose et elles restent toujours les plus
nombreuses. À part cette dimension de choix des stratégies face à la
maternité, un autre obstacle continue à compliquer la compréhension de
l’identité féminine: la désunion des femmes provenant de différents
milieux socio-économiques.
En conclusion de son récit,
Elisabeth Badinter constate que les Françaises résistent étrangement à
la grève des ventres et aux oukases de la société et se demande
«jusqu’à quand».
Une fois le livre fermé, la dernière
question de l’auteur en ouvre plein d’autres. Nous pouvons nous
demander pourquoi les Françaises ne refusent pas la maternité comme
tant d’autres de leurs consœurs en Occident?
Qu’on soit
d’accord ou pas avec le récit d’Elisabeth Badinter il est difficile de
rester indifférent face à ses constats. Nous pouvons ne pas être
d’accord avec l’idée qu’un front uni des femmes a volé en éclats. Nous
ne pouvons pas non plus remettre en question le besoin de redéfinir
l’identité féminine.
Permettons-nous toutefois le regret
d’un regard très féministe-centriste qui manque d’impartialité à
l’égard des hommes et qui enlève de la crédibilité aux dires qui sont
en faveur de la gente féminine. Car la multitude de rôles que la
société des hommes a déjà attribué aux femmes sans les reconnaitre pour
autant ne cache-t-elle pas une peur ultime de la perte de la domination
masculine si durement érigée des siècles durant? Malgré un paradoxe
apparent de cette non-reconnaissance par la société des hommes, les
femmes ne semblent pas reculer devant l’obstacle. Bien au contraire, et
selon les dires d’Elisabeth Badinter, elles semblent assumer les choix
multiples de leurs identités, y compris les rapports à la maternité. Si
nous consentons à l’auteur la nécessité de redéfinir l‘identité
féminine, il nous paraît peu probable que cela se fasse sans la prise
en compte de la nouvelle identité masculine. Le maintien de statu quo
n’est peut-être pas autre chose que la dernière tentative d’une société
machiste agonisante qui essaye de s’en sortir avec l’honneur de la
guerre idéologique dénoncée par Elisabeth Badinter. La course à la
conformité aux rôles des genres futurs est ouverte. Nous y verrons
peut-être un jour cohabiter une multitude d’identités féminines ainsi
que masculines. Espérons qu’au bout il n’y aura ni vainqueurs ni
vaincus dans l’intérêt des enfants à venir.
NOTES
1. Éducatrice formatrice en santé sexuelle et
reproductive,
sexothérapeute, membre Artanes, membre SEHP, Saint-Aubin (Ne), Suisse.